Êtes-vous plutôt du type sceptique ou nationaliste? Voulez-vous entendre parler d'économie, de défense des intérêts du Québec ou de lutte contre la criminalité? Une enquête menée par la firme de sondages CROP pour La Presse a permis de cerner dans l'électorat québécois cinq grandes familles qui se distinguent les unes des autres par leur sensibilité pour des enjeux de même ordre. Portrait en cinq temps du Québec appelé à se rendre aux urnes le 8 décembre, par notre journaliste Violaine Ballivy.

1. Les «bon gouvernement»

Jean Charest a fait de l'économie le principal enjeu de la campagne électorale? Ce n'est pas nécessairement ce dont souhaitent entendre parler les adeptes du «bon gouvernement». La famille la plus nombreuse (29% des répondants) se démarque plutôt par son incapacité de nommer un seul thème qui mériterait toute l'attention du prochain gouvernement.

 

Bien sûr, les mauvaises nouvelles sur le front financier ont fini par affecter le moral du clan. Mais il ne croit pas que le mot fétiche de Jean Charest soit la réponse à tous les maux de la société québécoise. Alors, que les politiciens se le tiennent pour dit: la famille la plus populeuse est aussi la plus exigeante: elle rêve d'un gouvernement qui sera efficace sur tous les fronts.

«Elle veut tout!» s'étonne Alain Giguère, président de la firme CROP. Que le ministre de la Santé s'occupe bien de son ministère, idem pour ceux de l'Éducation, de la Famille ou de l'Environnement. «Les membres de cette famille ne sont pas souverainistes, mais la protection de la langue française les préoccupe et ils tiennent à ce que tous les Québécois sortent de l'école en sachant parler français», constate Alain Giguère.

C'est le clan le plus à l'image de la société québécoise en général.

2. Les «priorité à l'économie»

«L'économie d'abord, oui!» Jean Charest n'aurait pu trouver un slogan qui résume mieux le leitmotiv de ces électeurs. Les mauvaises nouvelles financières qui font la une des journaux du monde entier depuis des semaines ont aiguisé leur intérêt pour la gestion des finances de l'État. Mais ceci n'explique pas seulement cela. Pour eux, il est clair que «quand l'économie va, tout va». En tout temps.

On trouve dans ce groupe beaucoup de jeunes chefs de famille, comme Auras Manolache, qui redoute les répercussions de la crise financière sur l'avenir de ses trois enfants. Il est d'avis que le premier ministre sortant s'est rapidement imposé comme la figure la plus rassurante en cette période d'incertitude, et il est loin de faire bande à part.

«Jean Charest crée chez ces gens-là un enthousiasme de loin supérieur à celui que Mario Dumont ou Pauline Marois réussissent à soulever chez les électeurs qui leur sont acquis normalement», signale Alain Giguère. Les chiffres parlent d'eux-mêmes: 76% des membres de la famille économique appuient Jean Charest, comparativement à 40% dans la société québécoise en général.

3. Les sceptiques

Pauline Marois garantit l'accès à un médecin de famille à tous les Québécois? Jean Charest veut attirer des milliers d'étudiants étrangers? Mario Dumont promet un moratoire sur le cours d'éthique et de culture religieuse?

Les sceptiques n'en ont que faire. Ils ont perdu leurs illusions depuis longtemps. Ils ne croient pas que le gouvernement puisse changer de façon importante le cours des choses ni même d'améliorer d'un iota leur niveau de vie.

À l'inverse de la famille «bon gouvernement», qui nourrit de grandes attentes à l'égard des politiciens, les espoirs des sceptiques sont au plus bas. En creusant, c'est à peine si l'économie se détache du lot de leurs préoccupations. «Grosso modo, le message qu'ils envoient aux politiciens, c'est: «Arrangez-vous pour qu'on ait des jobs», mais ils le lancent sans conviction», dit Alain Giguère.

«Les politiciens jouent les pères Noël. Ils nous promettent plein de belles choses. On les croit quand on est jeune mais, en vieillissant, on se pose de plus en plus de questions et on finit par ne plus les croire. Ils affirment une chose et font le contraire», dit André Garant, de Lévis.

Fait surprenant, les sceptiques sont parmi les plus intéressés par cette campagne, qui suscite pourtant bien peu d'enthousiasme dans le reste de la population.

4. Les nationalistes

Ce clan est évidemment le plus favorable au discours de Pauline Marois. Les nationalistes veulent un premier ministre qui tiendra un référendum sur la souveraineté, défendra les intérêts du Québec à Ottawa et assurera la protection du français.

Étonnamment, certains d'entre eux affirment qu'ils appuieront un candidat libéral ou adéquiste le 8 décembre. «Certains le font par boutade. D'autres constatent que le contexte n'est pas favorable à la souveraineté et se disent qu'il n'est pas nécessairement utile de voter pour Pauline Marois», remarque Alain Giguère.

5. Les souverainistes sociaux-démocrates

Le souverainiste social-démocrate lambda est jeune, possède un diplôme universitaire, habite Montréal et est très sensible à tout ce qui a trait à la notion de l'identité québécoise. Il s'inquiète de l'avenir de la langue française à Montréal, souhaite que le gouvernement du Québec défende mieux les intérêts de la province vis-à-vis d'Ottawa et est plutôt favorable à la souveraineté. Mais il ne vote pas nécessairement pour le Parti québécois.

Québec solidaire y remporte son meilleur score avec 13% de la faveur des répondants du sondage. «On ne remporte pas le pouvoir avec 13% des intentions de vote d'un segment qui ne représente que 13% de la population, mais il y a là quelque chose. C'est significatif», dit Alain Giguère.

«On retrouve beaucoup d'électeurs frustrés qui estiment que le Parti québécois parle trop d'économie et qu'il a fait trop de compromis sur les idéaux de la social-démocratie», ajoute-t-il.

C'est à tout le moins ce qui motive Hugo Béland-Falardeau, 29 ans, à se détourner du Parti québécois pour appuyer Amir Khadir cette année. «C'est l'un des rares candidats de Québec solidaire qui a vraiment des chances d'être élu, dit-il. On n'assistera certainement pas à un raz-de-marée, mais plus ce parti aura de la visibilité, plus ses adversaires seront obligés de se repositionner à gauche.»

Ce classement se traduit par une bien mauvaise nouvelle pour Mario Dumont: il ne parvient à s'imposer comme le chef d'aucune de ces familles. «Il s'est attaqué à des enjeux qui ne font pas consensus dans la société», constate Alain Giguère. Jean Charest domine en s'attirant les faveurs de trois clans, contre deux pour Pauline Marois.

Cette enquête a été réalisée d'après les résultats d'un sondage fait par téléphone auprès de 1004 électeurs entre le 6 et le 13 novembre dernier.

SONDAGE CROP - LA PRESSE

LES GRANDES FAMILLES D'ÉLECTEURS

> Bon gouvernement: 29%

> Priorité à l'économie: 20%

> Sceptiques: 19%

> Nationalistes: 18%

> Souverainistes sociaux-démocrates: 13 %

Les «bon gouvernement»: 29%

- Pour eux, tout est important (santé, éducation, économie, etc.)

- Les questions de société dominent les attentes individuelles.

- Le «Nous» de la société québécoise les interpelle sans qu'ils soient souverainistes.

- Vivent plutôt en région.

- Ont un revenu plus faible.

- Surtout des personnes de 55 ans et plus et des retraités.

Intentions de vote:

ADQ 16%

PLQ 39%

PQ 30%

QS 5%

PV 9%

Christiane Rancourt, 59 ans, deux enfants, vendeuse. Laval.

«On ne nous parle pas assez de santé. Je viens d'aller à l'hôpital ce matin, j'ai attendu des heures et des heures, c'est inacceptable. Il faut aussi se pencher sérieusement sur les problèmes dans nos écoles et revenir aux méthodes d'enseignement qui ont déjà fait leurs preuves. L'économie, Jean Charest en parle beaucoup, mais il ne répond pas aux questions. Il se défile tout le temps, alors on ne sait pas vraiment à quoi s'en tenir dans ce domaine. On ne sait pas s'il faut vraiment s'en inquiéter ou non. Il néglige aussi de parler de plusieurs dossiers. De la situation du français, par exemple. Les commerces affichent comme ils veulent en anglais et il n'y a pas de loi assez forte pour protéger le français. Je ne sais pas pour qui je vais voter cette année, quel parti pourrait s'attaquer sérieusement à cet ensemble de problèmes.»

Les «priorité à l'économie»: 20%

- L'économie est clairement à l'avant-scène de leurs priorités.

- Fédéralistes, ils appuient massivement les libéraux.

- Ont aussi des préoccupations sociétales (santé, éducation).

- Vivent plutôt dans l'île de Montréal.

- Revenu et scolarité plus élevés que la moyenne.

- Québécois âgés de 35 à 44 ans et familles de deux enfants et plus.

Intentions de vote:

ADQ 14%

PLQ 76%

PQ 7%

QS 0%

PV 3%

Auras Manolache, 39 ans, trois enfants, travailleur de l'aérospatiale. Candiac.

«Les mauvaises nouvelles économiques m'inquiètent beaucoup: ma femme et moi travaillons dans des secteurs qui risquent d'être durement secoués par la crise financière et je suis certain que l'année 2009 nous réserve encore beaucoup de mauvaises surprises. Je penche normalement pour le Parti libéral, mais je vais voter pour Jean Charest avec plus d'assurance cette fois parce que, dans les circonstances, je crois qu'il ne faut surtout pas faire de changements importants au gouvernement. On a besoin d'au moins un élément de stabilité.

Jean Charest est aussi le politicien qui a présenté le plan le plus solide pour faire face à la crise. Pauline Marois ne me plaît pas à cause des ses idées sur la souveraineté. Je pense que Mario Dumont est le meilleur chef de parti, et il est à peine plus vieux que moi, mais ses idées ne sont pas assez bien définies.

Une seule chose pourrait me faire changer d'idée: qu'un chef promette d'abolir la loi 101. J'ai trois enfants, je suis inquiet à l'idée qu'ils ne puissent pas être parfaitement bilingues. Cela va nuire à leurs chances de trouver un emploi.»

Les sceptiques: 19%

- Doutent de la capacité du gouvernement à intervenir sur l'économie.

- Suivent tout de même la campagne (ils sont en mode écoute). Plutôt fédéralistes et acquis aux libéraux.

- L'économie est l'enjeu le plus important pour eux.

- Âgés de 35 à 54 ans.

- Viennent surtout de la région de Québec.

Intentions de vote:

ADQ 15%

PLQ 52%

PQ 20%

QS 3%

PV 7%

André Garant, 62 ans, trois enfants, deux petits-enfants, professeur à la retraite. Lévis.

«Le discours des partis politiques change d'année en année, ils s'embrouillent et on ne sait plus à quelle enseigne ils logent. Je suis devenu blasé à force d'entendre les promesses qu'ils lancent sans jamais expliquer où ils vont prendre tout l'argent nécessaire pour les concrétiser, et qu'ils finissent par ne jamais remplir. J'aimerais qu'un politicien soit réaliste, qu'il promette des actions à la mesure de ce que les finances de l'État peuvent supporter, au lieu d'attaquer 56 fronts en même temps. Parler d'économie, c'est trop vague, cela ne veut rien dire. S'engager à améliorer les conditions de vie et le pouvoir d'achat des aînés, c'est mieux. Par exemple, quel parti va enfin garantir que la rente versée aux retraités de l'enseignement sera indexée? Ça, c'est une mesure qui ferait une différence. J'irai quand même voter, mais davantage pour les idées mises de l'avant par un parti que pour le candidat qui le représente dans ma circonscription et qui ne mène pas une campagne très active.»

Les nationalistes: 18%

- Priorité à l'affirmation nationale, aux intérêts du Québec et à la langue française.

- Souverainistes, le «Nous» est au coeur de leur identité.

- Seulement 50% disent qu'ils voteront pour le PQ.

- Déçus de voir l'option souverainiste de côté, certains se tournent vers l'ADQ.

- Davantage de francophones et de citoyens avec une scolarité collégiale.

- Gens âgés de 35 à 54 ans et familles avec deux enfants et plus.

Intentions de vote:

ADQ 22%

PLQ 19%

PQ 55%

QS 1%

PV 6%

Vincent Marleau, 54 ans, travailleur autonome. Montréal.

Je suis séduit par les idées du parti Québec solidaire, mais je voterai pour le Parti québécois parce qu'il est le seul à pouvoir prendre le pouvoir et à faire du Québec un pays, même si je suis très déçu de la campagne de Pauline Marois. J'étais content qu'enfin une femme puisse devenir première ministre, mais Pauline Marois n'est pas à la hauteur. Elle répond plus aux attaques qu'elle n'attaque. Ce n'est pas tellement pour donner mon appui à Pauline Marois que je vais voter pour elle; c'est plutôt pour ne pas le donner aux autres partis.

Jean Charest a agi de façon indécente en déclenchant de façon aussi opportuniste des élections hâtives, pour de mauvaises raisons. Il fait peur à la population avec la crise économique, mais il n'a pas économisé en lançant une campagne électorale! Les gens dramatisent beaucoup. Les choses tournent un peu au ralenti, mais je ne crois pas que la situation aille si mal.

La pauvreté est un grand mal, un enjeu dont on n'a pas encore parlé depuis le début de la campagne. Le situation du français aussi. On ne le protège plus assez et l'anglais est en train de reprendre le dessus. J'ai vécu ce que c'était de ne pas pouvoir se faire servir en français chez Eaton, il y a 20 ou 30 ans, et je vois que ce genre de choses se répète. C'est inquiétant.

Les souverainistes sociaux-démocrates: 13%

- Priorité au Québec et à l'équité sociale.

- Appuis majoritaires au Parti québécois mais aussi à Québec solidaire.

- Très tournés vers le «Nous», ils trouvent parfois que le PQ n'est pas assez à gauche.

- Pauvreté, environnement, santé et éducation passent avant l'économie.

- Autres priorités : le français, les intérêts du Québec, la souveraineté.

- Diplômés universitaires et gens de moins de 35 ans.

Intentions de vote:ADQ 7%

PLQ 24%

PQ 49%

QS 13%

PV 8%

Hugo Béland-Falardeau, 29 ans, vendeur. Montréal.

Je vais assurément voter pour Québec solidaire parce que c'est le parti qui me représente le mieux et qui parle le plus de ces enjeux. Québec solidaire s'oppose à la privatisation des sociétés d'État, il a une vision sociale de l'économie, veut préserver la nationalisation de l'énergie. Je suis conscient qu'on ne va pas assister à une grande percée de la gauche en 2008, mais si Québec solidaire peut élire un député à l'Assemblée nationale, cela va augmenter la visibilité des causes qui me tiennent à coeur et, petit à petit, les autres partis vont devoir se rencontrer autour de ces enjeux-là.

Mais de manière générale, la campagne ne m'intéresse pas vraiment parce qu'elle ne va pas changer grand-chose. Le gouvernement sera probablement le même après les élections. Les grands partis politiques nous saoulent de chiffres pour éviter de faire des promesses concrètes. Ils devraient parler davantage de ce qu'ils pourraient faire pour réduire la pauvreté, qui nous touche tous. Comment vont-ils aider les sans-abri? J'ai travaillé dans un hôpital et j'ai vu qu'il faut investir pour que les services offerts aux personnes dans le besoin s'améliorent.

Méthodologie du sondage: sondage réalisé par téléphone auprès de 1003 personnes du 6 au 13 novembre 2008. Marge d'erreur: 3 points, 19 fois sur 20 lorsque l'échantillon est complet.