«Devenons-nous plus bêtes quand on arrive dans l'île de Montréal?»

Le débat sur le virage à droite au feu rouge [VDFR), interdit à Montréal mais permis ailleurs au Québec depuis 2003, semblait clos. Beryl Wajsman, l'éditeur de l'influent hebdomadaire anglophone The Suburban, a décidé de le rouvrir. Une pétition, annoncée par la question «Êtes-vous fatigué d'attendre inutilement à un feu rouge?», est affichée depuis quelques jours sur le site internet de la publication.

Elle a permis de recueillir plus de 2000 signatures et suscite un fort intérêt chez les lecteurs, affirme M. Wajsman. Les quelque 145 000 exemplaires du Suburban sont répartis en trois éditions, soit l'ouest, le centre-ville et l'est de Montréal.

La pétition sera déposée «devant le maire Gérald Tremblay» quand on aura recueilli 5000 signatures, annonce l'éditeur. «C'est là qu'on va avoir de l'impact.» Pourquoi avoir lancé cette campagne? «La question intéresse beaucoup nos lecteurs. Leur commentaire, c'est: "Sommes-nous plus bêtes parce qu'on vient de traverser un pont vers Montréal?" Il n'y a eu aucun changement important dans les endroits où on a permis le virage à droite au feu rouge. C'est juste une excuse pour donner plus d'amendes.»

Plus globalement, il dénonce les lois coercitives qui se multiplieraient au Canada depuis trois décennies. «Depuis 1984, je ne peux nommer une législation qui favorise la liberté personnelle. Chaque loi est coercitive. C'est le temps de revoir toutes ces interdictions qui touchent nos vies.»

Six morts depuis 2003

M. Wajsman s'enflamme quand on le questionne sur le devoir de réserve ou l'objectivité attendue d'un journaliste. «Je pratique le journalisme de plaidoyer (advocacy journalism). Nous avons la responsabilité de représenter les plus vulnérables. L'objectivité, ce n'est pas l'objet du journalisme.»

Intarissable, il cite de nombreux cas où l'intervention du Suburban a permis de corriger des injustices, en menaçant même parfois des politiciens de mener une guerre d'usure contre eux. «On n'a pas besoin d'objectivité, on a besoin de justice», estime-t-il.

Depuis qu'il est autorisé au Québec, soit depuis avril 2003, le virage à droite au feu rouge serait en cause dans environ 300 accidents par année, soit 0,24% du total de tous les accidents. Selon le plus récent bilan, publié en 2010, il serait lié à 6 morts et à 33 accidents avec blessés graves.

Généralisé en Amérique du Nord à partir de 1975, essentiellement présenté comme une mesure permettant des économies d'essence, le VDFR reste interdit dans seulement deux villes, New York et Montréal. Lors de la vaste consultation sur cette question en 2002, la Ville de Montréal, le service de police et la Direction de la santé publique, notamment, s'étaient prononcés contre son implantation dans la métropole. Une commission l'avait toutefois recommandée, mais pas avant 2006 et à la condition que Québec compense les coûts de la signalisation, évalués à 100 millions. Cette recommandation n'a jamais été suivie.

Depuis 2006, tant la Ville de Montréal que le ministère des Transports du Québec ont réitéré à plusieurs reprises leur volonté de ne pas rouvrir ce dossier.