Les fracassantes révélations de Benoit Labonté, hier, à Radio-Canada, font sortir un homme de l'ombre : Bernard Trépanier. Une enquête de La Presse démontre qu'il était au coeur d'un obscur réseau d'influence qui profitait à des hommes d'affaires et au parti du maire.

Le maire Gérald Tremblay est au courant depuis longtemps du système de ristournes sur les contrats de la Ville de Montréal, a affirmé hier Benoit Labonté, dans une entrevue-choc à Radio-Canada. Chef de l'opposition jusqu'à dimanche dernier, M. Labonté a soutenu qu'il avait parlé avec le maire du rôle trouble joué par un homme aussi important qu'obscur: Bernard Trépanier.

 

Avant de passer à l'opposition, M. Labonté était membre du comité exécutif, responsable de la culture, dans l'administration du maire Tremblay. Dans une longue entrevue, il a affirmé qu'il avait répété au maire ce que de nombreux intervenants culturels lui disaient: Bernard Trépanier exigeait une ristourne de 3% sur les contrats municipaux. De l'argent pas forcément pour lui, mais pour le parti du maire, et probablement pour des élus ou des fonctionnaires.

«Je lui ai dit: «Il y a un nom qui circule, Gérald: Bernard Trépanier, qui travaille pour toi, pour ton financement.» Partout où je passe, c'est le même commentaire qui revient: Bernard Trépanier, 3% bang bang bang. C'est toujours la même chose qui revient. Et même le milieu culturel me transmet ça.

«Et là, Gérald Tremblay a blanchi. Physiquement. Il est devenu pâle, pâle, pâle. Et j'ai pas eu l'impression qu'il devenait pâle parce que je lui apprenais quelque chose. Il est devenu pâle parce que j'avais nettement l'impression que je venais de découvrir quelque chose. Et là, il s'est calé un peu dans son fauteuil, il m'a regardé de façon candide. Il m'a dit: «Tu sais, Benoit, en politique municipale, à Montréal, c'est juste de ça.» Alors, quand j'entends le maire dire aujourd'hui: «J'étais pas au courant...»»

Une fois par semaine, Bernard Trépanier se présentait dans un bureau du comité exécutif, a ajouté M. Labonté. «Il sortait avec une enveloppe brune, a-t-il précisé. Je ne le dis pas au sens monétaire du terme, plus au sens de documents. Il sortait avec une enveloppe brune qui contenait probablement la liste des contrats à donner, à venir... C'est ce qu'on me raconte.»

«Ce que j'ai pu décoder, par recoupement de conversations et d'observations, c'est qu'il y a vraiment un système organisé. Il y a quatre listes qui ont été faites par le parti au pouvoir. La liste A, B, C, D. Des listes de fournisseurs de la Ville qui rendent des services d'ingénierie, d'asphalte. Si on fait partie de la liste A, on a beaucoup plus de contrats. C'est comme ça que ça se passe. Quelqu'un passe faire le tour des entreprises, la collecte présumée, avant que les contrats s'octroient.»

Benoit Labonté a dit qu'il ignorait où allait l'argent, mais, selon ses informations, une certaine somme allait au parti du maire. Bernard Trépanier a été directeur du financement d'Union Montréal jusqu'en 2006; en réalité, il a continué à s'en occuper après avoir quitté officiellement cette fonction, selon M. Labonté. Quoi qu'il en soit, le financement par des entreprises existe bel et bien, même s'il est interdit, a-t-il souligné.

«Si ça ne se passait pas, comment expliquer qu'Union Montréal déclare de 6000 à 7000$ par mois en dons anonymes? a demandé M. Labonté. Cet argent ne tombe pas du ciel. Ce ne sont pas des joueurs de bingo qui le donnent. On parle de 84 000$ par année. Ça arrive juste à 20% (la limite légale pouvant provenir de dons anonymes). Quand même étonnant!»

Des conseillers municipaux et des fonctionnaires profitent eux aussi du système de ristournes, a-t-il ajouté. «On a eu un exemple public dernièrement: un voyage en Italie, payé par un entrepreneur en construction. Ça peut être sous forme d'argent, de cadeau... La réalité, c'est que Montréal est une ville qui a la gangrène. C'est un cancer à multiples métastases. J'ai été touché par une métastase. Il faut absolument nettoyer cette ville-là.»

M. Labonté a dit qu'il n'a aucune preuve montrant que le maire lui-même est corrompu. Mais il estime qu'il doit assumer ses responsabilités. «Le système à la Ville de Montréal, il est gangrené, il est pourri, a-t-il répété. Un moment donné, quand on est maire... on est responsable ultimement de ceux qu'on nomme, on est responsable de leurs actions.»