Laurent Blanchard. Peu de Montréalais le connaissent; pourtant, il est maire depuis cinq mois. Il a été catapulté à la mairie en juin dans le sillage de l'arrestation de Michael Applebaum. Il a appris le métier à la dure. Notre journaliste l'a suivi pendant une journée, histoire de comprendre ce qui attend le futur maire qui sera élu dimanche. Portrait d'une journée bien remplie.

6h35

La robe de chambre

Lorsque le maire de Montréal, Laurent Blanchard, ouvre la porte de sa maison à 6h35, il est en robe de chambre. Pourtant, je n'ai que cinq minutes d'avance. Il s'excuse et me fait signe d'entrer, enveloppé dans sa robe de chambre jaune serin.

Avant de monter à l'étage pour revêtir son complet-cravate, il me fait visiter la cuisine, le salon et la salle de bain pour me montrer ses antiquités. Sa maison ressemble à un commerce de brocanteur. Dans sa cuisine, une cabine téléphonique, une brouette, un vaisselier plein à craquer, des poupées, des tableaux...

Laurent Blanchard est un collectionneur et sa femme, brocanteuse, tient un stand au marché aux puces Saint-Michel.

Il collectionne de façon compulsive. Heureusement pour lui, car il faut être un peu compulsif pour passer à travers les piles de documents qui atterrissent sur le bureau du maire de Montréal.

La routine de Laurent Blanchard est bien rodée. Lever à 6h, lecture des journaux. Sa secrétaire arrive au bureau à 7h, lui, vers 8h-8h30. Il parcourt la revue de presse, puis il plonge dans les réunions, les rencontres, les appels téléphoniques, le tout entrecoupé d'activités protocolaires. Il finit à 19h s'il n'a pas de 5 à 7, de cocktails ou de rencontres. Et il travaille les samedis et les dimanches.

Sa routine est souvent chamboulée par un imprévu. Une nouvelle dans le journal ou une rétrocaveuse qui bascule dans un trou béant au centre-ville, comme cet été. «Les gens veulent que le maire aille sur place et règle le problème, comme s'il pouvait soulever la rétrocaveuse et boucher le trou», dit Laurent Blanchard.

Il doit alors revoir son horaire, s'ajuster, déplacer des rendez-vous. Une seule chose ne bouge pas: il travaille sept jours sur sept.

7h

Donald le Canard

Le chauffeur, Aziz, attend Laurent Blanchard dans une Ford Taurus noire. Aziz est un Touareg d'origine marocaine. Grand, avec ses six pieds trois pouces, mince, discret, efficace. Il ressemble comme deux gouttes d'eau au président Obama.

Il a conduit Jean Doré, Pierre Bourque, Gérald Tremblay et Michael Applebaum. Même s'il connaît des secrets, il est muet comme une tombe.

Laurent Blanchard s'assoit sur la banquette arrière. En avant, son attaché de presse et conseiller, Jonathan Abecassis, 26 ans. Dans 30 minutes, Blanchard donne une entrevue à Global.

Pendant que l'auto file sur Notre-Dame, Abecassis le breffe.

«Ce matin, dit-il, c'est Zambito, Zambito, Zambito [un candidat que Denis Coderre vient de congédier]. Vous êtes à l'aise avec ça?

- Pas de bitcherie, je le sais, répond Blanchard, mais si ça peut plomber la candidature de Coderre, c'est pas mauvais. Il l'a eue facile.

- Vous ne pouvez pas être partisan, le prévient Abecassis. Il y a aussi une étude de l'AMT dans La Presse.

- Je n'ai pas eu le temps de la lire.»

Laurent Blanchard est non seulement maire de Montréal, mais aussi conseiller dans Hochelaga-Maisonneuve. Il tente de se faire réélire. Son ancienne chef, Louise Harel, s'est ralliée à Marcel Côté, qui traîne dans les sondages.

Aziz monte le son de la radio, car Laurent Blanchard veut écouter Jean Lapierre, qui sévit sur le 98,5.

«Quand je t'lis...», dit Lapierre.

Blanchard grimace, c'est un maniaque de la langue française. Avant de se lancer en politique, il était éditeur d'un hebdo, Les Nouvelles de l'Est. Il fait ses mots croisés à l'encre, c'est dire. Lorsqu'il lit les documents préparés par les fonctionnaires, il ne peut pas s'empêcher de corriger les fautes d'orthographe.

Il aime les blagues faciles. C'est plus fort que lui, il a toujours un jeu de mots sur le bout de la langue. Pendant son entrevue avec Global, il imite Donald le Canard. Les animateurs s'esclaffent, Jonathan Abecassis pâlit.

Quand Laurent Blanchard sort du studio, il demande à Abecassis: «Est-ce que je t'ai fait honte?»

8h30

Des piles, des piles et des piles

Pas facile de diriger Montréal. Le maire doit lire, digérer et comprendre des tonnes de documents. Tous les mercredis, les membres de son comité exécutif, l'équivalent du Conseil des ministres, discutent des dossiers. La réunion dure plusieurs heures.

Laurent Blanchard et la présidente du comité exécutif, Josée Dupplessis, reçoivent les documents le vendredi à 16h30. Une pile. Énorme. Près de 800 pages. Blanchard passe une bonne partie de son week-end le nez enfoui dans la paperasse.

«Est-ce qu'il y a des dossiers que vous ne comprenez pas?

- Plein! répond-il. J'apprends des mots nouveaux, comme le thermorapiéçage par fraisage à chaud. Ça fait partie de la catégorie «de quessé".

Il passe patiemment à travers la pile. Le dimanche matin, quand il lui reste 80 dossiers à lire, il a parfois une furieuse envie de tout plaquer et de commencer une brassée de lavage pour se changer les idées.

- Stressant?

- Oui, quand on est consciencieux comme je le suis.»

Le lundi matin, il arrive à l'hôtel de ville, sa pile de documents tapissés de post-it sous le bras. «Je suis un maniaco-compulsif du post-it», dit-il.

Il aime les lundis matin, où il s'assoit avec Josée Duplessis et des hauts fonctionnaires pour passer de nouveau à travers les documents. Il pose des questions, essaie de comprendre les tenants et aboutissants des contrats, comme celui de 98 783$ pour l'«étanchéisation des cheminées des batardeaux des canaux UV à l'usine de production d'eau potable Atwater», ou celui de 191 000$ sur le «sciage de béton».

Blanchard aime ces réunions où «toute la business de la Ville» passe entre ses mains. Et la «business» ne se limite pas aux batardeaux et au sciage de béton. Elle comprend aussi l'avenir de la Formule 1, le sort de BIXI, les négociations avec les puissants syndicats...

Blanchard est également maire de l'arrondissement de Ville-Marie qui couvre le centre-ville. Nouvelles piles de documents, nouvelles réunions avec son équipe. Les dossiers sont très variés: de la tour de 42 étages à un parc à chiens que les élus ont voulu amputer pour faire de la place aux enfants. Blanchard se souvient de l'opposition quasi hystérique des propriétaires de chiens qui ne voulaient pas céder un pouce carré de leur parc aux enfants. «Il y avait de quoi faire un burn-out là-dessus», dit-il en levant les yeux au ciel.

16h

Sans remords et sans regret

Entre deux réunions, Blanchard fume. Tout le monde fume dans son entourage. Ils sortent du bureau du maire qui donne sur une terrasse avec vue sur les gratte-ciel et ils grelottent en tirant sur leurs cigarettes.

Blanchard écrase sa cigarette dans un cendrier, rentre dans son bureau, enlève son manteau et s'installe à sa table de travail. À droite, une pile de documents. «Le to do», dit-il.

L'environnement du maire est hyper contrôlé. Les lettres, les demandes d'intervention et les suppliques ne tombent pas directement entre ses mains. Tout est filtré par ses collaborateurs avant d'atterrir sur son bureau.

Sa secrétaire arrive avec des lettres qu'il doit signer. Il les lit d'un bout à l'autre, histoire de s'assurer qu'il n'y a aucune faute d'orthographe.

Dans quelques jours, il cédera la place à son successeur. Laurent Blanchard aura été maire pendant cinq mois.

Un conseil pour son remplaçant? «Rester zen.»

Son salaire? «158 000$ par année. Moins qu'un député fédéral, qui, lui, gagne 159 000$, précise-t-il. Ça fait pas cher de l'heure!»

Même s'il s'est amusé, il part «sans remords et sans regret».



> Laurent Blanchard, 61 ans, maire depuis le 25 juin

> Président du comité exécutif de novembre 2012 à juin 2013

> Conseiller de l'arrondissement de MercierHochelaga-Maisonneuve depuis 2005

> Le maire de Montréal est aussi maire de l'arrondissement de Ville-Marie, président de la Communauté métropolitaine de Montréal qui regroupe les 82 municipalités de l'île de Montréal, de la Rive-Sud et de la couronne nord, et président du conseil d'agglomération, qui comprend les 15 villes défusionnées de l'île et la Ville de Montréal.

Pour joindre notre chroniqueuse: mouimet@lapresse.ca