Attirés par les loyers commerciaux plus modestes que ceux du Plateau Mont-Royal, Isabelle Quinn et son mari Michel Richard ont ouvert une jolie boutique rue Fleury il y a quelques années.

Sweet Isabelle vend des petits gâteaux et des biscuits décorés avec soin de la main de la propriétaire. On offre aussi un service d'organisation de fêtes d'enfants axées sur la décoration de gâteaux.

Le couple s'est acheté un condo, tout près de la boutique. « On assiste à une espèce d'exode vers les quartiers moins centraux. C'est le déclin du Plateau. Les gens sont allés voir ailleurs », dit M. Richard.

Leur boutique est devenue l'un des nombreux commerces de niche de la rue Fleury, où une clientèle bien nantie vient dépenser, en moyenne, 40 ou 50 $ en friandises, « simplement pour se gâter », ajoute-t-il. 

« On a deux types de clientèle : des gens relativement âgés et des jeunes familles », explique-t-il. Les deux types de clients ont une chose en commun : un revenu très confortable. À 57 000 $ de revenu familial, la clientèle naturelle de desserte de la rue Fleury, qui va de la rue Sauvé au chic boulevard Gouin, est bien au-dessus du revenu moyen des ménages montréalais.

« La cliente-type de la rue Fleury est une jeune femme professionnelle, elle a un salaire relativement élevé. Elle a des enfants. Et elle est très foodie », explique François Morin, directeur de la Promenade Fleury. Cette clientèle est généralement propriétaire de l'une des maisons de l'aire de desserte, qui vont des duplex bien tenus dans les petites rues transversales aux châteaux du boulevard Gouin.

Ça, c'est l'un des visages d'Ahuntsic-Cartierville, habité par une population qui a fait prospérer des restaurants comme le St-Urbain dans le secteur ouest de la rue Fleury, transformant tout ce tronçon de rue en petit royaume de la gastronomie.

Et cette partie du quartier pourrait devenir encore plus belle si le plan directeur du développement des berges, élaboré dans les dernières années, avec des prévisions budgétaires de près de 13 millions, est réellement implanté dans le quartier.

Quais pour les embarcations, points d'observation de la rivière, location de kayaks, pêche hivernale, cours de voile, ateliers d'ornithologie... Les abords du boulevard Gouin pourraient devenir une réelle « escapade nature au coeur de Montréal », fait valoir le plan directeur.

« Ce secteur d'Ahuntsic est un des plus beaux quartiers de Montréal. Par contre, à quelques kilomètres, il y a des secteurs où la paupérisation s'affiche, même s'il y a une volonté de changer les choses, souligne Amin Esseguir, journaliste au Courrier Ahuntsic. Il y a deux populations dans le quartier : celle qui s'est acheté une belle maison et l'autre, qui vient pour les loyers peu chers et qui repart ensuite, à cause des conditions de vie. »

Un autre univers

À l'extrême ouest de l'arrondissement, on débarque dans cet autre univers. Cartierville était autrefois surnommé « Cracktierville » à cause des immeubles mal famés où sévissaient les vendeurs de drogue, disséminés sur le territoire qui s'étend à l'entrée du pont Lachapelle.

Ici, on essaie depuis des années de revitaliser le secteur Grenet-Laurentien. Et personne n'essaie plus fort que Jeannine Laurin, 80 ans. Depuis 15 ans, la dame se bat pour l'édification d'un centre sportif et communautaire dans le quartier.

Pendant 15 ans, elle a animé des comités, fait des apparitions au conseil municipal, elle a couru les parcs l'été pour faire signer des pétitions. « Au début, on était quatre. Quatre nobodys, pas d'argent, pas de pouvoir politique », raconte-t-elle.

Et finalement, elle l'a eu, son centre. Il y a trois ans, un YMCA flambant neuf a ouvert ses portes sur le boulevard Laurentien. « On n'avait rien, à Cartierville, tranche Mme Laurin. On avait 0,7 % d'infrastructures. Les jeunes traînaient dans les rues. Et là, on ne les voit plus : ils sont tous à la piscine ! »

À chaque fois qu'elle passe devant le Y, Jeannine Laurin ressent une bouffée de fierté. Et elle note avec satisfaction qu'aucun graffiti n'est venu déparer l'édifice d'un blanc impeccable.

Le nouveau Y est en effet devenu un pôle de revitalisation du secteur, confirme Nathalie Fortin, du CLIC Bordeaux-Cartierville. « C'est devenu un lieu de rassemblement pour les familles de toutes origines. Ça a donné une espèce de souffle au quartier. »

Revitaliser le secteur

Dans le secteur Grenet-Laurentien, 57 % des familles vivent sous le seuil de pauvreté. Quelque 75 groupes ethniques cohabitent dans un espace de quelques kilomètres carrés : deux habitants sur trois sont nés ailleurs qu'au Québec.

Le tiers des gens ont un diplôme d'études universitaires « mais ça ne les empêche pas d'être pauvres », observe Nathalie Fortin : le chômage atteint les 20 % dans le secteur. Et il y a beaucoup, beaucoup d'enfants. La Commission scolaire de Montréal a dû ouvrir une nouvelle école pour répondre aux besoins.

Ces gens pauvres s'entassent dans les immeubles de 25 logements disséminés dans tout ce secteur. 

« Les propriétaires profitent du fait qu'il y a une clientèle récemment immigrée qui accepte des logements qui, autrement, ne trouveraient pas preneur sur le marché locatif », dit Amin Esseguir, lui-même d'origine algérienne.

Les groupes du quartier ont donc pris le défi de la revitalisation du secteur à bras-le-corps. Verdissement de ruelles, constructions de logements sociaux, sensibilisation de la population. La machine est partie, à tel point qu'au CLIC Bordeaux-Cartierville, on craint l'embourgeoisement. « On est à un virage. Et on veut qu'il y ait un bénéfice pour tout le monde, y compris ceux qui n'ont pas de sous. »

C'est que le CLIC Bordeaux-Cartierville a retenu les leçons du complexe Place l'Acadie, un ensemble d'immeubles insalubres sur le boulevard Henri-Bourassa toléré pendant des années par la Ville de Montréal. Oui, des logements abordables ont été réservés aux familles à faible revenu, qui bénéficient aussi d'un CPE et d'un beau parc sur place. Mais des espaces de choix ont été réservés aux condos... bien plus payants sur le plan foncier.

« Dans le fond, le secteur Grenet-Laurentien, c'est un peu Place l'Acadie, mais à plus grande échelle, dit Nathalie Fortin. L'attrait d'une population plus riche, il est là. Il faut toujours rappeler aux décideurs qu'on travaille pour la population qui vit ici. »

Ahuntsic-Cartierville

Taux de participation en 2009: 45,09 %

(ensemble de Montréal : 39,4 %)

Maire élu : Pierre Gagnier (35,09 % des voix)

À surveiller en 2013

La mère de la candidate Mélanie Joly, Laurette Racine, brigue un poste de conseillère d'arrondissement. La première femme à diriger une centrale syndicale au Québec, Lorraine Pagé, se lance aussi en politique municipale dans cet arrondissement. Elle tentera aussi de se faire élire conseillère d'arrondissement dans l'équipe de Mélanie Joly. La vice-présidente du comité exécutif, Émilie Thuillier, se représente comme conseillère municipale, encore une fois dans l'équipe de Richard Bergeron. Le conseiller d'Ahuntsic-Cartierville et président du conseil de la Ville de Montréal, Harout Chitilian, un ancien d'Union Montréal, se présente comme conseiller de ville pour l'équipe Denis Coderre.