Frédéric Lapointe a sursauté lorsqu'il a entendu Denis Coderre affirmer la semaine dernière que la Ligue d'action civique avait mené une opération d'appels automatisés pour le compte de son parti, précisant au passage que cette Ligue était «une force citoyenne qui combat la corruption».

M. Lapointe, président de la Ligue, reconnaît que l'organisme a bel et bien vendu des logiciels de pointage et d'appels automatisés pour environ 14 500$ à Équipe Denis Coderre. La Ligue fait aussi la promotion de l'éthique, mais M. Lapointe souligne toutefois que le candidat à la mairie de Montréal ne fait pas partie des signataires des engagements électoraux anticorruption.

M. Lapointe voit dans cette affirmation de Denis Coderre une forme d'«exploitation politique» et juge la déclaration «simpliste».

Celui qui a déjà été candidat pour Vision Montréal et organisateur politique au Parti québécois dit avoir fait du «damage control» au lendemain de la déclaration de M. Coderre, afin d'assurer aux autres formations politiques montréalaises que cette relation d'affaires ne signifiait aucunement un appui politique.

Dans les faits, Équipe Denis Coderre est client du volet «collaboration électorale». La Ligue vend effectivement du matériel électoral, comme des logiciels ou des pancartes. Groupe Mélanie Joly compte aussi parmi ses clients et, selon l'attaché de presse de la candidate, Frédéric Lepage, les prix sont très intéressants.

«Ça ne veut pas dire qu'on cautionne la campagne de M. Coderre, ni celle d'aucun autre parti», insiste le président de la Ligue. D'ailleurs, tous les partis municipaux ont été approchés par l'organisme pour se faire expliquer leurs services.

Équipe Denis Coderre et Groupe Mélanie Joly ont tous deux mentionné à La Presse qu'ils font affaire avec la Ligue pour ses prix abordables, mais aussi parce qu'ils jugent sa démarche de promotion de l'éthique intéressante.

Des engagements éthiques

Cette démarche s'inscrit toutefois dans un autre volet, intitulé «opération confiance». Les candidats qui le souhaitent -ils sont près de 50 jusqu'à présent- s'associent avec la Ligue en prenant des engagements éthiques anticorruption. L'organisme s'assurera ensuite que le candidat élu respecte ses engagements au cours de son mandat.

M. Coderre n'a pas signé de tels engagements avec la Ligue, confirme M. Lapointe, pas plus que ne l'ont fait les autres candidats à la mairie de Montréal. Quant au statut de client, n'importe quel parti peut l'obtenir en achetant du matériel à la Ligue, ce qui ne confère aucun sceau de qualité, précise le président.

L'organisme soutient qu'il n'endosse pas les candidats. Mais lorsque ces derniers répondent au questionnaire sur l'éthique et prennent des engagements, la Ligue se présente sur la place publique à leurs côtés pour annoncer les engagements. Cet appui devient une sorte de police d'assurance.

Ces deux volets des services de l'organisme se croisent lorsqu'un client devient membre de la Ligue et prend des engagements éthiques. Par exemple, Action Gatineau est client de la Ligue et son chef Maxime Pedneaud-Jobin participe à la campagne d'engagements. Même chose pour Jonathan Martel, candidat à la mairie de Sept-Îles. Quant à Claire Le Bel, chef d'Option Laval, elle achète du matériel à la Ligue en plus d'être signataire des engagements, indique M. Lapointe. Il se trouve qu'elle est aussi membre du conseil d'administration de l'organisme.

Comment évaluer l'éthique de ses propres clients ? «On ne fait pas de favoritisme», se défend le président, soulignant que l'organisme n'évalue pas le programme des partis, mais leurs réalisations sur la base de leurs engagements.

«On ne donne pas de note, explique M. Lapointe. Ce sont des règles mécaniques pour éviter des conflits d'intérêt ou de mélanger les affaires, explique-t-il. On est le plus objectif possible. On évalue les réalisations, c'est blanc ou noir, tu l'as fait ou tu ne l'as pas fait, tu es enceinte ou tu ne l'es pas.»

Le volet «collaboration électorale» de vente de matériel et l'«opération confiance» des engagements éthiques se sont mis en branle au printemps dernier et seront réévalués après le scrutin. À ce propos, M. Lapointe reconnaît que la situation n'est pas idéale.

«J'ai essayé de confier la campagne d'engagements à une autre organisation, j'ai essayé de séparer les choses autant que possible, mais je n'ai pas trouvé quelqu'un pour le faire à ma place», confie-t-il.

«Il y a plusieurs aspects qui sont difficiles à distinguer, je l'admets, mais il faut le faire... Les partis font des raccourcis, dit M. Lapointe. Les gens peuvent décider de nous récupérer, mais ils vivront avec les exigences... et je me dois de rappeler la neutralité de la Ligue.»

Cette mise au point, il s'est vu dans l'obligation de la réitérer en raison des récents événements concernant Claire Le Bel et Reny Gagnon, qui était directeur de la Ligue jusqu'au 1er août dernier.

M. Gagnon avait pris un congé sans solde de l'organisme pour devenir directeur de campagne de sa collègue Claire Le Bel. Il a dû quitter ses fonctions au parti la semaine dernière à la suite des doutes soulevés quant à l'agression qu'il dit avoir subie. Cet incident serait survenu au lendemain de la sortie de Mme Le Bel, qui avait publiquement dénoncé la tentative de l'ex-maire de Laval Gilles Vaillancourt de s'immiscer dans la campagne d'Option Laval.

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Un grossiste en engagement citoyen

Fondée il y a deux ans, la Ligue est un organisme à but non lucratif, doté d'un budget d'environ 20 000$, qui regroupe des citoyens, des élus ou d'anciens politiciens qui souhaitent promouvoir l'engagement civique.

La Ligue a ensuite créé le regroupement d'achats «collaboration électorale». L'entreprise enregistrée est une propriété de la Ligue qui agit à titre de grossiste, explique le président Frédéric Lapointe.