À l'époque où elle enseignait les sciences politiques à l'Université Concordia, Janine Krieber avait son truc pour capter l'attention des étudiants dissipés.

Sans dire un mot, la femme de Stéphane Dion prenait une craie et traçait au tableau des lettres minuscules. Immanquablement, les étudiants cessaient leur bavardage pour essayer de déchiffrer le texte. Elle parvenait à ses fins sans se fâcher ni élever la voix.

 

Celle qui nous raconte cette anecdote est une ancienne étudiante de Mme Krieber, Dawn Alee Fowler, qui lui sert d'assistante pendant la campagne électorale. Elle ne tarit pas d'éloges pour la prof qui l'a aidée à concilier ses études et sa vie de jeune mère. «Je ne sais pas comment j'y serais arrivée sans elle», confie l'ex-étudiante devenue une amie indéfectible.

Ceux qui la connaissent décrivent Janine Krieber, 53 ans, comme une femme chaleureuse à la conversation agréable - loin de l'image d'intellectuel cérébral et socialement maladroit qu'a Stéphane Dion dans les médias.

La femme en rouge

Est-ce pour compenser ces lacunes que Mme Krieber a joué un rôle de premier plan dans la campagne qui s'achève?

Non seulement on l'a vue aux côtés de Stéphane Dion dans presque toutes ses apparitions publiques durant les deux premières semaines de la campagne, mais elle a ensuite mis ses vêtements rouges dans ses valises - elle en avait acheté tout plein avant le déclenchement des élections - pour donner un coup de main aux candidates d'un bout à l'autre du pays.

«Bonjour, je suis la femme de Stéphane Dion», se présentait-elle encore dimanche dernier aux habitants d'un HLM d'Ahuntsic où elle accompagnait la candidate locale, Eleni Bakopanos.

Chose certaine, Janine Krieber est considérée comme un «atout» par les stratèges du parti. «Sa présence aide Stéphane, elle est sympathique et facile d'approche», confie le député libéral Pablo Rodriguez.

On a rarement vu la femme d'un chef prendre une place aussi visible dans une campagne électorale, notent des observateurs de la scène politique. Mais Mme Krieber estime qu'elle ne fait rien de plus que la femme de Jean Chrétien, Aline, qu'elle prend pour modèle.

Femme de tête

Le magazine Maclean's a tracé son portrait, le Globe and Mail et le pendant anglais de Châtelaine aussi. Mais dans les médias québécois, c'est le quasi-silence.

«Le fait que j'aie gardé mon nom de famille intrigue les médias anglophones», avance Janine Krieber en guise d'explication. Le Québec serait davantage habitué aux femmes qui mènent une carrière indépendante, croit-elle.

Il faut dire que Janine Krieber, qui a rencontré son futur mari dans un party d'étudiants et a «craqué pour son humour», est une «femme de chef» plutôt atypique. Fumeuse impénitente, elle a du caractère à revendre et un champ de spécialité aussi éloigné que possible des traditionnels bastions féminins: l'étude des mouvements terroristes.

Mme Krieber explique qu'elle y est arrivée par hasard, grâce à un professeur qui, sachant qu'elle comprenait l'allemand - son père, Hans Krieber, était Autrichien -, l'a aiguillée vers l'étude de la bande Baader-Meinhof, qui sévissait en Allemagne dans les années 70.

«Je voulais comprendre pourquoi ces jeunes passaient de l'action verbale à l'action violente», explique la politologue. Ses recherches l'ont conduite à conclure qu'aucune société n'est immunisée contre la violence.

Dans le milieu universitaire, on note que Mme Krieber a mené une carrière honnête, mais sans laisser de marque indélébile. Au cours des dernières années, Mme Krieber a enseigné au Collège militaire royal de Saint-Jean. Une collègue, Manon Turgeon, la décrit comme une professeure enthousiaste et passionnée.

Stéphane Dion a beaucoup discuté avec sa femme avant de se lancer dans la course à la direction du PLC. «Quand il était pour, j'étais contre, quand il était contre, j'étais pour», raconte Mme Krieber, qui a pris un congé sans solde du collège quand son mari est devenu chef du PLC. Et qui jure que, contrairement à la rumeur, elle n'a jamais envisagé de se lancer elle-même dans la course électorale.

La blessure

Hans Krieber a été envoyé sur le front de l'Est avec la Wehrmacht pendant la guerre, une expérience dont il n'a jamais beaucoup parlé, confie sa fille. Photographe, il a trouvé un boulot dans un studio d'Alma à son arrivée au Canada, après la guerre. Il a contribué à y mettre sur pied le programme de communications du cégep de Jonquière. Et il a épousé une journaliste, Thérèse Gagné.

Même si elle est issue d'une famille de communicateurs, Janine Krieber a souvent eu de la peine à composer avec les médias. Surtout à l'époque où son mari a piloté la Loi sur la clarté référendaire. «Certaines caricatures étaient alors d'une telle violence que ça faisait mal», dit-elle, en évoquant les dessins qui représentaient Stéphane Dion sous les traits d'un rat.

L'image publique de Stéphane Dion était alors tellement négative que Janine Krieber, passionnée d'information, a complètement cessé de lire les journaux. À l'époque, la GRC avait placé la famille Dion-Krieber sous protection, à la suite de menaces. «Mais je n'ai pas de rancune, maintenant je comprends mieux le fonctionnement des médias», assure-t-elle.

Quoique... «Quand je vois comment les gens reçoivent les discours de Stéphane et ce qui est ensuite rapporté par la presse, je ne comprends pas, ce n'est pas le même événement», s'étonne-t-elle encore aujourd'hui.