Les élections se succèdent tellement rapidement que, d'une campagne à l'autre, on n'a pas grand-chose de neuf à raconter sur les chefs. Néanmoins, 30 mois, c'est long, en politique. Il convient donc de faire une petite mise à jour du profil de nos chefs. D'autant plus que deux d'entre eux, Stéphane Dion et Elizabeth May, n'avaient pas le statut de leader au scrutin de 2006.Portraits impressionnistes de gens que l'on voit beaucoup sans les connaître vraiment.

Gilles Duceppe est, parmi les chefs des principaux partis fédéraux, le seul grand-papa.

Je ne dis pas ça pour rappeler qu'il est aussi le plus vieux (à 61 ans, de toute façon, il est encore jeune), mais parce que M. Duceppe est devenu plus serein avec le temps, un phénomène que l'on observe souvent chez les grands-parents.

 

On l'a vu dans la présente campagne. Bien sûr, Gilles Duceppe s'est énervé à quelques reprises, notamment lorsqu'il a traité Stephen Harper de menteur, de tricheur et d'autres choses encore mais, dans l'ensemble, il s'en est tenu à son plan de match du début.

Pas de gaffe, main de fer sur son parti, ton juste dans les débats, maîtrise de ses dossiers et défensive étanche à la fois contre les attaques de ses détracteurs et contre les crises existentielles. Politiquement, le Bloc joue la trappe, ce qui fait enrager ses adversaires.

Avec raison, d'ailleurs. Gilles Duceppe a toujours réponse à tout, au risque de collectionner les contradictions, ce dont ne semblent pas lui tenir rigueur les électeurs.

Exemple: Gilles Duceppe a dénoncé pendant toute la campagne la décision de Stephen Harper de déclencher des élections au mépris de sa propre loi sur les scrutins à date fixe, lui qui pourtant n'attendait que l'occasion de renverser le gouvernement depuis des mois.

Qui plus est, le chef du Bloc a demandé aux électeurs de l'appuyer pour que l'on revienne, après 35 jours de campagne, au même résultat: un gouvernement Harper minoritaire.

Et pour boucler la boucle, Gilles Duceppe met maintenant Stephen Harper au défi de respecter la loi des élections à date fixe dans son prochain mandat, mais lui refuse de s'engager à laisser survivre le gouvernement au moins 18 mois.

Quant à ses envolées contre Stephen Harper, elles étaient parfois déplacées, mais elles ont permis de remobiliser les militants du Bloc. En plus de faire taire les observateurs (dont je suis) qui disaient que Gilles Duceppe était éteint.

Au contraire, le bonhomme est en forme. Et encore allumé. Je me souviens de l'avoir croisé chez les maquilleuses de Radio-Canada, en début de campagne, le lendemain du lancement de la publicité des conservateurs qui dénonçait l'inutilité du Bloc et son coût pour les contribuables.

«Cette campagne est dure, mais on va se battre», m'avait-il dit avec détermination.

Par moment, on voit bien que la campagne taxe le chef du Bloc. M. Duceppe a la fatigue transparente. On le voit alors les traits tirés, rouge, le visage crispé.

Question de rester alerte, M. Duceppe s'est astreint à un régime alimentaire sain et a banni l'alcool pendant toute la campagne. Pas même un verre de rouge le samedi soir, lui qui est amateur.

«Je trouve ça dur, mais il faut que je fasse attention, j'ai 61 ans...»

Orateur moyen malgré ses nombreuses années d'expérience (il manque souvent ses punchs, il garde la tête basse et ne regarde pas son auditoire), Gilles Duceppe connaît néanmoins ses dossiers comme le fond de sa poche.

Ce qui s'est amélioré, par contre, au fil des ans, c'est son contact avec les gens. Rien à voir avec le Duceppe-tout-pogné de sa première campagne, en 1997. Il est dans le décor depuis tellement longtemps qu'il fait maintenant parti des meubles, au Québec.

Ça se voit quand il entre dans un restaurant. Tout le monde le connaît, comme lorsque le maire d'un village va manger au casse-croûte. C'est probablement ce qui explique que l'électorat lui a bien vite pardonné son faux départ vers Québec, au printemps 2007.

Ses adversaires diront que c'est plus facile pour lui, parce qu'il n'a à se préoccuper que du Québec (et encore, seulement 55 des 75 circonscriptions de la province). Ils diront qu'il ne fait que critiquer parce qu'il ne prendra jamais le pouvoir.

Par contre, il faut rappeler en toute justice pour le chef du Bloc que l'on prévoyait la débandade de son parti il y a deux mois à peine, peut-être même le début de la fin.

Gilles Duceppe n'a jamais voulu dire (il ne pouvait pas) que c'est sa dernière campagne. Il siège à Ottawa depuis 1990, il est chef du Bloc depuis 1997 et il en est à sa cinquième campagne à ce titre.

Ce sera vraisemblablement sa dernière. Fédérale, s'entend. Parce que s'il obtient d'aussi bons résultats qu'on le prévoit à Ottawa, il pourrait être tenté de faire le saut, pour vrai cette fois, vers Québec.