Sans même lui fournir de réponse, les conservateurs fédéraux ont laissé mariner pendant cinq mois le gouvernement Charest, qui réclamait une simple rencontre pour discuter d'une entente Ottawa-Québec en matière de culture et de communications.

Dans une lettre obtenue par La Presse, la ministre québécoise de la Culture, Christine St-Pierre, a exprimé le 13 août dernier à sa vis-à-vis fédérale, Josée Verner, sa «profonde inquiétude» devant l'annonce des coupes dans les programmes destinés à faire rayonner les artistes canadiens à l'étranger (des compressions de 45 millions) que venait de confirmer le gouvernement Harper.

Surtout, la ministre québécoise s'est interrogée sur le silence de Mme Verner après une première missive envoyée cinq mois plus tôt. Dans une lettre transmise alors à Josée Verner, Jim Prentice et Rona Ambrose, le 9 avril 2008, Mme St-Pierre et son collègue Benoît Pelletier indiquaient «la volonté du Québec d'entreprendre des discussions relatives à des ententes avec le gouvernement fédéral en matière de culture et de communications».

«N'ayant pas encore reçu de réponse à notre proposition...» poursuit Mme St-Pierre cinq mois plus tard. Dans cette missive, obtenue en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, la ministre québécoise suggère que les sous-ministres des deux ordres de gouvernement puissent au moins se rencontrer durant la matinée du 25 septembre, en marge d'une conférence fédérale-provinciale; cette réunion a été repoussée à cause du déclenchement des élections fédérales.

«Je ne veux pas entrer dans le crêpage de chignon. Vous avez la lettre... Tirez vos conclusions», a dit Mme St-Pierre, visiblement embarrassée, en marge de la réunion du caucus libéral à Victoriaville. «Publiquement, le gouvernement Harper donne une image d'ouverture», a-t-elle ajouté, refusant toutefois de parler de mauvaise foi. «Tirez vos conclusions», a insisté la ministre.

La lettre d'avril, signée aussi par le ministre Benoît Pelletier, n'a suscité qu'un accusé de réception du gouvernement fédéral. «Il y avait les sessions intensives puis l'été... Peut-être que les réponses à ce genre de demande exigent davantage de temps», a-t-on expliqué à son Ministère.

La semaine dernière à La Malbaie, le premier ministre Charest a invité les chefs de tous les partis fédéraux à se prononcer sur un tel projet d'entente entre Ottawa et le Québec.

Par ailleurs, Mme St-Pierre s'est dite surprise de l'annonce faite jeudi par M. Harper quant à une hausse de 25 millions, sur cinq ans, des fonds fédéraux destinés à TV5. «Normalement, cela doit être négocié. Je ne sais pas ce qu'en penseront nos partenaires suisses et français», a-t-elle dit. Pour Jean Charest, toutefois, cette annonce conservatrice «reflète des discussions qu'on a depuis 2005» sur la volonté d'accroître le contenu canadien de 6 à 9% dans TV5Monde. L'annonce de M. Harper forcera le Québec à ajouter des fonds - les deux gouvernements ont une entente à 60-40 pour TV5.

Tout en se gardant bien de vouloir «diriger le vote» « durant la campagne électorale fédérale, le premier ministre Charest a évoqué de nouveau toutes les pommes de discorde apparues avec le gouvernement Harper. Cette fois, il a ciblé aussi le chef adéquiste, qu'il a accusé de brader les intérêts du Québec.

Mario Dumont «s'est précipité» dans la barque des conservateurs dans l'unique but d'obtenir un appui, un renvoi d'ascenseur aux prochaines élections fédérales, estime M. Charest. Aussi la prise de position, la liste d'épicerie de l'adéquiste pour la campagne fédérale souffre d'omissions embarrassantes; «il a produit un document de deux pages... et il a oublié de parler de la culture, il n'a rien à dire sur les artistes. Pas un mot non plus sur les coupes en développement régional; il ne peut plaider qu'il a oublié», a soutenu le premier ministre.

Relancé sur l'idée d'un «mot d'ordre» lancé par lui pour réduire les attaques de ses ministres à l'endroit du gouvernement conservateur, il a soutenu «il n'y a pas de mot d'ordre d'attaquer qui que ce soit. Il ne peut y avoir de mot d'ordre de ne pas le faire. Le mot d'ordre, c'est la défense des intérêts du Québec. Je ne me gênerai pas pour dire ce que j'ai à dire. Il y a la question de la culture, les coupes dans le développement économique régional. À un moment donné, il faut être constant», a soutenu M. Charest.

Sur le «déséquilibre fiscal», un autre sujet qui doit être abordé par Québec, «on a fait des gains très importants mais le travail n'est pas terminé». Sur le financement de l'enseignement postsecondaire, «c'est clair comme de l'eau de roche, il y a eu des coupes dans les années 90; le financement a été rétabli dans la santé, mais pas dans le postsecondaire».

Le pouvoir fédéral de dépenser

Il a aussi évoqué, en revanche, la reconnaissance du Québec comme «nation» par le gouvernement Harper, et la place offerte au Québec à l'UNESCO.

Il a aussi rappelé que la veille, la ministre des Finances Monique Jérôme-Forget avait attaqué les intentions d'Ottawa quant à une commission pancanadienne des valeurs mobilières. «Les intentions du gouvernement fédéral sont assez claires. Ils ont campé sur leurs positions. Ce que je veux, c'est qu'au lendemain des élections, tous les partis fédéraux, tout le monde sache où on se situe au Québec. Après cela, personne ne pourra me blâmer; tout le monde saura à quoi s'en tenir sur les dossiers.»

Aussi, M. Charest a rappelé son intention de se prononcer sur d'autres sujets avant le débat des chefs. Sur le pouvoir fédéral de dépenser, un engagement explicite des conservateurs aux élections de 2006, M. Charest a rappelé que M. Harper s'était engagé à l'encadrer, à Québec, en décembre 2005, qu'il y avait eu depuis une référence dans un discours du Trône. Ottawa avait produit un document distinct sur la question au dernier budget fédéral, mais les consultations qui ont suivi ont débouché sur une «proposition qui, selon nous, n'allait pas assez loin. Après, cela n'a pas avancé... Et c'est rendu là. Nous, on continue de défendre qu'il faut encadrer le pouvoir fédéral de dépenser dans nos compétences», a souligné M. Charest.

Avec la collaboration de William Leclerc.

On prépare la prochaine campagne

Derrière des portes closes, les députés libéraux ont eu droit, jeudi, à des présentations de Michel Bissonnette et de Sylvie Paradis. Le premier, devenu l'an dernier conseiller bénévole au Parti libéral, a présenté à larges traits le positionnement d'une prochaine campagne électorale. Selon les deux conférenciers, il ne faut surtout pas compter l'ADQ pour battue, en dépit des sondages. L'électorat reste très «volatil», a soutenu Sylvie Paradis, la responsable des enquêtes et des «focus group» du PLQ. L'ADQ reste le second choix de bon nombre d'électeurs. Le PLQ se trouve un peu déplacé de sa base habituelle, car il décroche actuellement un soutien important dans l'électorat féminin. Or, pour les électrices, les questions sociales, la santé par exemple, dominent largement les enjeux économiques.

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M. Charest a confirmé que le président français Nicolas Sarkozy pourrait s'adresser à l'Assemblée nationale, le 17 octobre. La séance sera présidée par la vice-présidente Fatima Houda-Pepin, et c'est le 21 octobre que les députés pourront, par scrutin secret, choisir le nouveau président de l'Assemblée nationale. Le libéral Yvon Vallières, l'adéquiste Marc Picard et le péquiste Maxime Arseneau sont sur les rangs.