COALITION

À l'automne 2008, à peine quelques semaines après le scrutin du 14 octobre qui a redonné un gouvernement minoritaire à Stephen Harper, les conservateurs présentent une mise à jour économique qui déplaît profondément aux partis de l'opposition, notamment parce qu'elle inclut l'abolition des subventions aux partis politiques, mais ne prévoit aucune mesure de stimulation économique. En quelques jours, le Parti libéral - malgré le départ annoncé de Stéphane Dion et la course au leadership déjà lancée -, le NPD de Jack Layton et le Bloc québécois de Gilles Duceppe mettent sur pied une coalition et menacent de renverser le gouvernement. L'entente prévoit que le gouvernement sera formé d'une majorité de ministres libéraux, avec un quart du cabinet issu des rangs néo-démocrates. Le Bloc québécois s'engage à appuyer cette coalition pendant au moins 18 mois, lui assurant ainsi de ne pas se faire renverser au moment de votes de confiance. Si l'idée de former une telle coalition a depuis été enterrée par Michael Ignatieff, peu après son arrivée à la tête des libéraux, Jack Layton et Gilles Duceppe se plaisent à répéter qu'ils ne fermeraient pas la porte à une nouvelle alliance, alimentant les attaques des conservateurs. Déjà, Stephen Harper l'a dit à plusieurs reprises: aux prochaines élections, les Canadiens auront à choisir entre un gouvernement conservateur majoritaire ou une coalition. Bien reçue au Québec, l'idée d'une coalition est très mal perçue dans le reste du Canada. D'où l'idée, pour les conservateurs, d'en parler ad nauseam.

ÉTHIQUE, DÉMOCRATIE ET ABUS DE POUVOIR

Au lendemain du scandale des commandites, Stephen Harper avait fait campagne sur des promesses de transparence, d'intégrité et d'ouverture. Son gouvernement est aujourd'hui accusé d'abus de pouvoir, de manque d'éthique et de mépris envers la démocratie. C'est d'ailleurs une motion de censure, accusant les troupes de Stephen Harper d'outrage au Parlement, qui a entraîné la chute du gouvernement conservateur minoritaire. Le comité de la procédure avait jugé que le gouvernement avait failli à ses obligations en refusant de fournir aux parlementaires toutes les informations nécessaires afin qu'ils prennent des décisions éclairées. Mais les scandales se sont aussi accumulés dans les dernières semaines. Deux sénateurs conservateurs et deux dirigeants du parti ont été accusés, en cour, d'avoir violé la loi électorale pendant la campagne de 2006. Un ex-proche conseiller du premier ministre Harper, Bruce Carson, fait l'objet d'une enquête de la GRC, soupçonné de trafic d'influence, depuis que le Réseau de télévision des peuples autochtones a révélé que l'homme de 66 ans tentait d'obtenir des contrats qui enrichiraient sa fiancée de 22 ans, qui a travaillé dans le passé comme escorte. La question des subventions publiques aux partis politiques risque aussi de rebondir pendant la campagne électorale. En janvier, le premier ministre est revenu avec l'idée - très impopulaire dans l'opposition - de couper les vivres aux partis politiques, qui reçoivent actuellement 2$ par vote reçu. Le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, s'est porté à la défense de cette subvention «essentielle à la démocratie» selon lui, puisqu'elle donne aux petits partis les moyens de participer aux débats démocratiques.

ÉCONOMIE

Faut-il continuer d'injecter de l'argent dans l'économie, pour s'assurer que la reprise ne s'amenuise pas, ou réduire les dépenses afin de rétablir rapidement l'équilibre budgétaire? Les choix économiques à faire, à peine sortis de la pire récession mondiale depuis la Grande Dépression de 1929, seront au coeur des débats. Déjà, le chef libéral Michael Ignatieff a lancé les hostilités la semaine dernière, en affirmant que les Canadiens devront choisir entre dépenser des milliards pour des avions militaires et des prisons, comme le font les conservateurs, ou donner la priorité aux familles, en investissant dans les soins de santé, les aidants naturels, les pensions, les garderies, comme veulent le faire les libéraux. Les conservateurs, eux, se targuent d'avoir réussi à sauver les meubles: le Canada est le champion des pays du G7 pour la croissance économique et la création d'emplois depuis la fin de la crise. Le déficit pour cette année sera plus bas que prévu, vers 40 milliards de dollars, plutôt que les 45 milliards prévus pour 2010-2011. Le ministre des Finances, Jim Flaherty, l'a réitéré au dépôt de son budget, mardi dernier: les conservateurs entendent rétablir l'équilibre budgétaire d'ici à 2015. Pour stimuler la croissance et la création d'emplois, le gouvernement a misé, dans sa nouvelle phase du Plan d'action économique, sur des impôts bas. Le Parti libéral avait fait de l'annulation des baisses d'impôts aux entreprises une condition sine qua non de son appui éventuel au budget. Le régime fiscal canadien est déjà suffisamment concurrentiel et attirant, estime Michael Ignatieff, et l'argent pourrait être mieux investi ailleurs.

LOI ET ORDRE

Le gouvernement Harper a déposé près de 75 projets de loi au cours de la dernière session parlementaire. Le tiers touchait son programme de la loi et l'ordre. Depuis l'arrivée au pouvoir des conservateurs, en 2006, les partis de l'opposition qui se sont aventurés à critiquer cette vaste entreprise de durcissement de la justice criminelle se sont fait accuser d'être mous à l'égard du crime et de négliger les victimes. De peur de perdre des votes, le Bloc, le NPD ou le Parti libéral ont longtemps hésité quant à la position à adopter. Depuis quelques mois, ils semblent avoir trouvé la «poignée» qu'ils cherchaient: le coût de ces changements pour les contribuables canadiens. Il y a à peine quelques semaines, le scénario aurait été difficile à prévoir; mais c'est finalement sur le refus du gouvernement de fournir ces détails qu'une motion pour outrage a été déposée et que le gouvernement a été renversé. Des questions telles que l'amélioration du système de justice criminelle, les moyens de mieux protéger les victimes et la facture que les Canadiens sont prêts à payer pour y parvenir devraient donc être débattues durant cette campagne. D'autant plus que, malgré l'adoption en vitesse d'une dizaine de ces projets de loi la veille du déclenchement des élections, une bonne douzaine sont morts avec le gouvernement. C'est le cas entre autres de C-4, qui prévoit le durcissement de la justice face aux jeunes contrevenants, et de S-10, qui imposerait des peines minimales pour certains trafiquants de drogue - deux projets à l'égard desquels l'opposition a exprimé des réserves. Qui se souvient de l'épisode de la «chair fraîche en prison» des élections de 2008?

ENVIRONNEMENT

Talon d'Achille du gouvernement, la protection de l'environnement et la lutte contre les changements climatiques pourraient bien s'immiscer dans la campagne électorale, à l'invitation des partis de l'opposition. Alors que Stephen Harper et son gouvernement continuent de défendre bec et ongles, au pays comme à l'étranger, la lucrative et polluante industrie des sables bitumineux, l'opposition réclame un cadre réglementaire contraignant pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le budget 2011-2012 contenait une mesure importante pour la lutte contre les changements climatiques: le renouvellement du programme écoÉNERGIE Rénovation-Maisons, qui offre des subventions (jusqu'à 5000$) aux propriétaires de résidences unifamiliales pour faire des rénovations qui amélioreront l'efficacité énergétique de leur maison. Mais pour l'opposition et les environnementalistes, il reste beaucoup à faire pour que le Canada respecte les engagements pris en signant les accords de Cancún en décembre dernier. La communauté internationale se rencontre de nouveau à Durban, en Afrique du Sud, à la fin de 2011, et les pays cancres (comme le Canada) devront rendre des comptes. Ottawa martèle depuis des mois qu'il lui faut attendre l'adoption de mesures américaines avant de bouger, pour des raisons économiques. Mais lorsque les États-Unis instaurent un règlement pour limiter les émissions de GES dans les nouvelles constructions industrielles polluantes, le gouvernement conservateur de Stephen Harper reste muet. L'arrivée d'un nouveau ministre de l'Environnement, Peter Kent, nommé le 4 janvier, n'a pas aidé à faire taire les critiques; sa première déclaration publique a été un appui sans équivoque aux sables bitumineux, qui produisent selon lui un pétrole «éthique».