Lucien Bouchard plaint les cinq chefs de parti qui, ce soir, vont se trouver au coeur d'une «cacophonie assurée», d'«échanges en silo» dans une «langue de bois multipliée par cinq» lors du débat télévisé.

Son conseil : «Qu'ils lâchent le gros cahier à anneaux, qu'ils regardent leur adversaire dans les yeux, précise-t-il en entrevue. Et qu'ils ne gardent autour d'eux qu'un ou deux conseillers, de préférence les moins énervés.»

Dans une lettre publiée ce matin dans La Presse, l'ex-premier ministre du Québec dénonce, souvent avec humour, ces débats «trop léchés, axés sur l'image» qui sombrent «si souvent dans l'insignifiance et l'ennui». Avec une pointe de nostalgie, il rappelle les assemblées contradictoires d'antan, où les chefs déambulaient devant des foules partisanes, «gesticulant et défiant leurs adversaires, parfois même physiquement».

«Même télédiffusés sur des écrans HD multicolores, les débats de cette semaine seront de bien pâles versions des spectacles hauts en couleur offerts avec une frugalité totale de moyens par les affrontements oratoires d'autrefois», écrit-il.

L'ex-politicien raconte avec un brin de dérision comment il a préparé ses trois débats des chefs. La première fois, en 1993, on lui avait fait engager un conseiller à l'habillage « qui avait passé des heures à choisir les complets et les chemises appropriés, toujours bleus, de toute façon ». Le choix de la cravate avait été un véritable casse-tête : «pas trop rayée, pas trop pâle, pas trop unie, pas assez de ceci, pas assez de cela...»

Le lendemain du débat, il a constaté avec plaisir qu'on le donnait gagnant. Avec un bémol, toutefois : «la cravate, stigmatisée par l'auteur d'une chronique qui ne l'avait pas, mais alors vraiment pas aimée !» Il s'agissait en fait de la chroniqueuse de La Presse Lysiane Gagnon, qui l'avait carrément trouvée «atroce».

Pourquoi les débats modernes sont-ils aussi ennuyeux ? Lucien Bouchard identifie deux responsables : la bienséance imposée par la télévision et le format des débats. Contrairement aux affrontements épiques d'antan, il serait plutôt pénible de voir apparaître au petit écran «un énergumène qui s'escrimerait et s'époumonerait en hurlant», écrit-il. On a plutôt droit à des conversations polies sur un ton qui peut devenir «dangereusement somnifère, à 9 ou 10 heures du soir».

Quant au format, qui impose des échanges en duo («10 combinaisons possibles», calcule-t-il), il n'y a véritablement rien à faire : «Tout est mis en place pour proscrire la vivacité et l'intérêt que seul pourrait produire l'enchaînement des répliques.»

L'exercice est d'autant plus vain que ces débats sont rarement à la hauteur des attentes médiatiques, estime-t-il. Les «dénouements hollywoodiens» et les knock-out sont rares et bien connus : Brian Mulroney en 1984, Ronald Reagan en 1980 et, dans une moindre mesure, Lloyd Bentsen en 1988 qui avait lancé à Dan Quayle «You're no Jack Kennedy».

En entrevue hier, M. Bouchard a admis qu'il est « délicat » pour lui de lancer un tel pavé dans la mare à la veille des débats. «Qui suis-je pour donner des conseils ?» D'expérience, il a cependant compris qu'il ne servait à rien d'être un grand orateur pour briller dans cet exercice.

«Il n'y a pas de recette. L'important, c'est d'être soi-même. Laissez tomber la feuille sur le pupitre, ça c'est zéro. Et misez davantage sur la capacité d'improvisation.» Et à l'image des sportifs qui inondent de compliments leurs rivaux pour ne pas paraître arrogants, les politiciens doivent être «modestes». «Il faut noyer ses adversaires sous les compliments, ne surtout pas les piquer au vif.»

Il termine sa lettre par un ultime conseil : «Attention à la cravate, pour ceux qui la porteront !»