Les quatre chefs de parti ont croisé le fer une ultime fois mercredi soir dans le débat en français avant de reprendre la route jeudi matin pour la dernière portion de la campagne électorale.

À l'instar de la première joute oratoire, en anglais la veille, Stephen Harper a tenté de limiter les dégâts devant les tirs nourris de ses trois adversaires. Le chef conservateur a plaidé de nouveau pour une majorité, s'adressant particulièrement aux régions du Québec pour qu'elles aient des représentants à la table du gouvernement.

Cherchant à tirer profit d'un vent de sympathie au Québec, le chef du NPD, Jack Layton, a invité les Québécois déçus des deux autres partis fédéralistes à donner à son parti le mandat de changer les choses à Ottawa. M. Layton a même fait un appel senti aux partisans du Bloc québécois.

«Ce n'est pas suffisant, de s'opposer à M. Harper. Il faut le remplacer et c'est cela que le NPD peut faire. Nous partageons plusieurs positions et je demande aux gens qui ont voté Bloc dans le passé de se joindre à nous pour changer le gouvernement», a dit M. Layton.

Michael Ignatieff a tenté de relancer son parti au Québec en faisant davantage la promotion de son programme électoral axé sur les familles et en soutenant que le choix du 2 mai se fera entre un gouvernement libéral ou un autre mandat au gouvernement conservateur de Stephen Harper.

Pour sa part, Gilles Duceppe a fait un long plaidoyer en faveur de la souveraineté du Québec qui, selon lui, est encore d'actualité. Il a aussi affirmé que le Bloc québécois est le seul à défendre les intérêts du Québec et qu'il peut barrer la route à une majorité conservatrice, comme il l'a fait en 2006 et en 2008.

Les quatre chefs reprennent donc la route aujourd'hui en espérant avoir converti à leur cause les électeurs francophones pendant ces deux heures d'échanges parfois acrimonieux.

Sur le thème de l'économie, Stephen Harper a dû encore une fois défendre sa décision de réduire les impôts des grandes entreprises, alors que le gouvernement nage dans un déficit et que les besoins sociaux demeurent pressants. Jack Layton s'est montré le plus cinglant à l'endroit du chef conservateur. «M. Harper, vous avez fermé les yeux sur la situation des travailleurs. Nous avons un taux de chômage énorme en ce moment. (...) Ce n'est pas la réduction des impôts qui est la solution pour tous nos problèmes économiques», a dit le chef néo-démocrate.

M. Harper a jugé que l'économie canadienne tirait bien son épingle du jeu, rappelant que plus de 500 000 emplois ont été créés depuis la fin de la récession. «C'est un bon bilan, mais on doit faire plus. (...) Il y a encore trop de chômage, mais notre bilan est le meilleur sur cette question à travers le monde. Mais c'est nécessaire de continuer de nous concentrer sur l'économie, ce que les conservateurs voulaient faire. Nous ne voulions pas d'élections. Nous voulions adopter notre budget pour aider les travailleurs et créer des emplois.»

Gilles Duceppe a pour sa part accusé le chef conservateur de vouloir détourner 17,5 milliards de dollars de la caisse de l'assurance emploi à d'autres fins. M. Harper a rétorqué que la loi prévoit que la caisse de l'assurance emploi doit s'autofinancer à long terme.

Dans un échange sur les valeurs canadiennes, les trois adversaires de M. Harper ont vivement reproché au chef conservateur d'avoir adopté certains modèles américains, notamment en matière de lutte contre la criminalité, d'environnement et de contrôle des armes à feu.

«Ce qu'il ne faut pas faire dans la lutte à la criminalité, c'est d'importer de fausses solutions américaines», a dit Michael Ignatieff, citant en exemple les mégaprisons à l'image de la Californie, qui a maintenant plus de prisonniers que d'étudiants.

«J'ai peur que, si vous gagnez le pouvoir encore une fois, ça va restreindre notre démocratie, ça va être l'américanisation de nos valeurs», a ajouté le chef libéral.

Querelles sur le Québec

La question du Québec au sein du Canada a aussi donné lieu à des échanges nourris. Le chef du NPD a proposé de «créer les conditions gagnantes» pour que le Québec prenne sa place dans le Canada, et s'est engagé à entreprendre un processus pour faire entrer la Belle Province dans la Constitution canadienne. M. Ignatieff, lui, a proposé un «fédéralisme de respect», en promettant de respecter les compétences provinciales.

«On est en 2011. Je ne comprends pas pourquoi la souveraineté reste pertinente dans le monde actuel», a lancé le chef libéral.

MM. Ignatieff et Harper ont tous deux jugé que c'était «un problème» que le Québec n'ait pas signé la Constitution, estimant toutefois que les citoyens ont beaucoup d'autres priorités auxquelles le gouvernement fédéral doit s'attaquer en premier.

À l'issue d'une altercation particulièrement animée entre M. Duceppe et M. Ignatieff, le chef conservateur a voulu se placer au-dessus de la mêlée. «Imaginez, mesdames et messieurs, un autre Parlement minoritaire avec ces trois partis qui tentent de former un gouvernement avec les mêmes vieilles querelles constitutionnelles et linguistiques», a souligné M. Harper.

Dans un autre échange, Jack Layton a accusé les deux autres partis fédéralistes d'avoir raté l'occasion de convaincre les Québécois d'adhérer à la fédération canadienne.

«Vous êtes chef d'un parti qui a eu une occasion en or pour avoir la confiance des Québécois, a dit M. Layton en jetant un regard à M. Harper. Mais vous l'avez gaspillée avec votre attitude envers le Parlement et notre démocratie. Vous êtes en outrage au Parlement. En environnement, vous n'avez fait aucun effort et c'est un échec. (...) C'est dommage. C'est pourquoi on offre aux Québécois une alternative. C'est le temps de choisir une nouvelle approche.»

- Avec Hugo De Grandpré, Paul Journet et Anabelle Nicoud