Déclencher des élections surprise, en prétextant une crise appréhendée au Parlement, ramener les gens aux urnes sur des enjeux artificiels quand ils sont satisfaits d'avoir un gouvernement minoritaire: Stephen Harper avait pris un pari bien risqué. Et Jean Charest en a pris bonne note, hier soir.

Stephen Harper a été réélu hier mais est condamné à demeurer minoritaire. Il a amélioré sa performance de 2006 dans toutes les régions du pays, sauf au Québec où, étrangement, Jean Charest est devenu l'allié objectif de Gilles Duceppe, pour barrer la route à un gouvernement conservateur fort.

Au Québec, l'autorité de Stephen Harper va sortir diminuée de cette campagne. Après sa percée de 2006 avec 10 comtés au Québec, il avait misé énormément sur une avancée importante auprès des francophones pour obtenir ce mandat majoritaire qui lui a pourtant échappé. Au lieu de progresser, les «bleus» québécois ont fait du surplace -cédant un siège obtenu de justesse il y a deux ans. Le fameux «mystère de Québec» n'a pas fait tache d'huile, en dépit des efforts consentis. Avec des porte-parole souvent erratiques et bien des erreurs stratégiques les conservateurs ont fait une bien mauvaise campagne au Québec, mais Jean Charest ne pourra s'empêcher de penser que ce sont ses interventions et celles de son gouvernement qui auront finalement privé les Conservateurs de leur majorité.

Même si Jean Charest trépigne d'impatience à l'idée de s'engager lui aussi sur le sentier de la guerre, les résultats d'hier pourraient bien avoir l'effet d'une douche froide. Aussi froide que la poignée de main qu'échangeront MM. Charest et Harper, vendredi, au Sommet de la Francophonie.

Jean Charest peut bien voir la déconvenue des «bleus» au Québec, un signe tangible de son propre ascendant sur l'électorat. Mais certains faits devraient freiner son enthousiasme. Son poulain, le conservateur André Bachand a subi une dégelée dans son comté de Sherbrooke, bien des militants libéraux se sont aussi retrouvés aux barricades pour les conservateurs. Finalement l'appui de son ministre Raymond Bachand au conservateur Michael Fortier n'a eu aucun impact.

Surtout, les relations entre les gouvernements Charest et Harper ne seront plus jamais les mêmes. On peut parier que M. Harper se souviendra longtemps de la guerrilla que lui ont menée les ministres québécois. Lors de la campagne québécoise, les libéraux ne devront pas s'attendre à trop de cadeaux d'Ottawa.

S'il prenait prétexte de la crise économique pour lancer l'appel aux urnes, Mario Dumont et Pauline Marois répliqueraient qu'ils ont des suggestions pour mieux utiliser les 100 millions que coûtent une élection. Avec des élections provinciales précipitées, M. Charest semblerait faire bien peu de cas du message d'hier soir; les électeurs n'aiment pas les stratégies cousues de fil blanc. Ils pourraient à nouveau punir le cynisme d'un coup de départ justifié uniquement par la faiblesse des adversaires, réprimander une confiance trop ostentatoire.

Jean Charest retiendra aussi que l'humeur est bien volatile. On prédisait une vague bleue au Québec début septembre, puis tout le monde sentit une remontée du Bloc. Après les montagnes russes, on remet presque l'horloge à février 2006. À Québec on se souvient du mutisme du clan Harper, à mi-campagne, quand Jean Charest avait fait envoyer à l'avance sa sortie sur la culture. Pire encore, devant l'ensemble des attentes du Québec, Stephen Harper a fait savoir publiquement qu'il ne répondrait pas, trop occupé à convaincre les électeurs.

Pour les libéraux provinciaux, le mur qu'on frappé les conservateurs au Québec vient aussi de la coalition entre Stephen Harper et Mario Dumont. L'alliance est apparue au grand jour quand le conservateur a choisi de se rendre dans Rivière-du-Loup, fin 2007. «Tout part de là, Harper a choisi Dumont plutôt que Charest», résument des libéraux qui se souviennent avec nostalgie de l'axe Mulroney-Bourassa.

Sur le terrain, l'organisation adéquiste avait tout mis en oeuvre pour les conservateurs. Mario Dumont sortira encore affaibli de l'élection d'hier soir. Inversement, en sauvant les meubles et en évitant la dégelée que lui prédisaient bien des observateurs, Gilles Duceppe va redonner l'espoir qui depuis des mois fait défaut aux péquistes de Pauline Marois.

Jean Charest va tenter de soupeser l'impact réel qu'il a eu dans cette campagne québécoise. Il devra le faire vite s'il pense sérieusement aller en élections - s'il attend plus d'une semaine, ses candidats feront concurrence à la guignolée dans leur porte-à-porte.