« École en surpopulation et en milieu allophone. » « Milieu défavorisé, multiethnique, possibilité de local sans fenêtre. » « Local attitré [aux arts plastiques] mais possibilité d'enseignement dans les classes lorsqu'il y a des travaux bruyants. »

Ce ne sont que quelques exemples de la description des postes d'enseignants à pourvoir à la Commission scolaire de Montréal en cette rentrée scolaire.

Dans un contexte de pénurie d'enseignants, cette stratégie d'affichage de poste est « étrange », affirme Égide Royer, professeur à la faculté des sciences de l'éducation de l'Université Laval.

« En portant un jugement critique sur la composition des classes et l'état des locaux dans son affichage de poste, est-ce que la commission scolaire vise à exercer des moyens de pression sur le gouvernement ? », se demande ce spécialiste de l'éducation.

Dans d'autres écoles de la CSDM où les « parents sont impliqués » dans la vie scolaire, la description des postes à pourvoir parle de « milieu exigeant ».

M. Royer indique n'avoir jamais vu de descriptions aussi « critiques » de postes. « Quand tu sors avec un brevet d'enseignement, tu es qualifié pour enseigner dans n'importe quelle classe », dit ce spécialiste de l'éducation.

« Je ne vois pas la nécessité de porter un jugement sur les défis du poste, poursuit M. Royer. Ce sera quoi la suite ? Une description disant que la classe X dans une école ordinaire a 30 % d'élèves en difficulté comparativement à la classe Y dans une école à vocation internationale, qui a tamisé les bons élèves et, donc, n'a pas d'élèves en difficulté. Faites votre choix. »

Ce sont les enseignants les moins expérimentés qui vont se retrouver avec ces classes les plus difficiles, croit l'expert en éducation.

M. Royer rappelle l'avis du Conseil supérieur de l'éducation émis en 2016 qui soulignait que le système d'éducation québécois était le système éducatif le plus inégalitaire au Canada. La raison : les écoles privées et les écoles publiques à projets particuliers comme le sport-études choisissent leurs élèves, ce qui mène à une concentration d'élèves en difficulté dans les écoles publiques ordinaires.

« Si on vous offre - pour le même salaire - un poste dans une école publique à vocation internationale avec des élèves triés sur le volet ou un poste dans une école ordinaire avec une proportion élevée d'élèves avec des troubles de comportement, lequel allez-vous prendre ? », demande M. Royer.

RÉACTION DE LA CSDM

En date d'hier, la CSDM avait encore plusieurs postes à pourvoir, alors que les élèves sont rentrés en classe lundi.

Contrairement à pareille date l'an dernier, il n'y a pas eu de classe sans enseignant, fait valoir son porte-parole Alain Perron. Toutefois, dans certaines classes, la plus grande commission scolaire du Québec a dû envoyer des suppléants, concède-t-il.

Ainsi, des élèves devront vraisemblablement encore composer avec plusieurs enseignants pendant leur année scolaire. La présidente de la CSDM Catherine Harel Bourdon n'était pas disponible pour répondre aux questions de La Presse, hier.

« À certains endroits, on a dû faire appel à des spécialistes ou autres membres de l'équipe-école pour remplacer des personnes qui devaient être là, mais qui, pour différentes raisons [maladie ou autres], n'avaient pu se présenter », ajoute M. Perron, de la CSDM. Ce dernier n'était pas en mesure de donner un « portrait exact » à cette période-ci, puisque les choses vont se préciser lors des « assemblées de placement » qui auront lieu les 4 et 5 septembre, a-t-il précisé.

Concernant les descriptions des postes à pourvoir, la CSDM explique que l'objectif est de faire connaître les réalités de l'établissement à ceux qui postulent et éviter des désistements et une succession de remplacements.

« Enseigner dans un milieu défavorisé ou multiethnique présente des défis différents et il est essentiel de s'assurer que l'enseignant a le profil et qu'il sache à quoi s'attendre lorsqu'il postule pour un poste », affirme M. Perron.

« Quelques-uns de ces détails traduisent la réalité montréalaise et d'autres, au sujet des locaux, sont de l'ordre de l'exceptionnel. »

La CSDM est engagée dans une course contre la montre pour embaucher. Elle a dû ouvrir 82 classes de plus au primaire cette année par rapport à l'an dernier (statistiques en date d'hier) - pour un total de 2936 classes, comparativement à 2854 en 2017.

Et ce n'est pas fini, puisque la commission scolaire prévoit en « ouvrir » d'autres au rythme de l'arrivée de familles immigrantes dans la métropole. À cette période-ci de l'année, la CSDM évalue qu'entre 200 et 230 nouveaux élèves par semaine intégreront ses classes d'accueil, ce qui correspond à 15 nouvelles classes à « ouvrir » chaque semaine.

LE SYNDICAT NE VEUT PAS SE MOUILLER

L'Alliance des professeures et professeurs de Montréal - qui représente les employés de la CSDM - a refusé de commenter la stratégie d'embauche de l'employeur, hier. Son responsable des communications, Yves Parenteau, nous a indiqué que le syndicat avait besoin de temps pour adopter une position formelle à ce sujet.

À la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSMB), qui est aussi victime de la pénurie d'enseignants qui sévit à Montréal, les offres d'emplois ne sont pas aussi « explicites », indique sa conseillère en communications Gina Guillemette.

« Cependant, nous privilégions aussi la transparence, précise-t-elle. Les conditions de travail sont donc abordées avec les candidats, afin qu'ils sachent à quoi s'en tenir. Cela permet de favoriser une stabilité, dans l'intérêt des élèves, puisque si l'enseignant accepte une tâche en toute connaissance de cause, il y a moins de risques qu'il veuille changer d'affectation par la suite », explique la conseillère en communications de la CSMB.

Même s'il reste plusieurs postes à pourvoir à la CSMB, un enseignant était présent dans chacune des classes hier, assure-t-elle, alors que c'était jour de rentrée des élèves dans cette commission scolaire montréalaise.