Trois cents étudiantes et ex-étudiantes de l'Université de Montréal (UdeM) ont signé une lettre-témoignage au gouvernement affirmant que le traitement actuel des cas de harcèlement sexuel par des professeurs de l'institution les décourageait de dénoncer.

Dans un texte intitulé Pourquoi je n'ai pas porté plainte, madame la ministre, les signataires critiquent la lenteur, les limites et le possible biais du processus actuel. 

Les plaintes disciplinaires qui visent des professeurs sont présentement étudiées par d'autres professeurs. L'administration veut soumettre le corps professoral à un processus disciplinaire semblable à celui imposé aux autres employés.

La lettre contient des témoignages anonymes de femmes qui ont subi des avances sexuelles de la part de professeurs, surtout des superviseurs de thèse ou de stages, mais qui n'ont pas pu ou voulu porter plainte.

« Mon directeur de thèse a fermé la porte de son bureau lors d'une de nos rencontres et m'a fait des avances sexuelles explicites, peut-on lire, par exemple. J'ai refusé. Il a menacé de couper ma charge d'auxiliaire de recherche si j'en parlais. J'ai quand même porté plainte auprès du département, mais ça a seulement mené à une rencontre de médiation où on m'a invitée sans me dire que je devrais le confronter. Les choses ont empiré, et je dois continuer à travailler avec lui chaque jour malgré tout. »

La lettre-témoignage est une initiative de l'association étudiante locale, unie dans un front commun non orthodoxe avec le recteur de l'Université pour presser Québec d'adopter un projet de loi privé qui modifierait la Charte de l'Université de Montréal. Le projet de loi n'a pas progressé depuis plusieurs semaines.

Face à eux : le syndicat des professeurs de l'établissement, qui dénonce une tentative de modifier unilatéralement leurs conditions de travail.

« Nous vous demandons, en tant que femme et en tant que ministre responsable de l'Enseignement supérieur et ministre responsable de la Condition féminine, d'agir afin de nous donner les moyens de rectifier la situation inacceptable qui perdure dans notre établissement », ont écrit les 300 étudiantes et ex-étudiantes dans leur missive à la ministre de l'Enseignement supérieur, Hélène David. 

« Vraiment beaucoup d'inquiétudes »

La lettre a été envoyée dans la foulée des révélations de La Presse concernant Jean Larose, un professeur de littérature parti à la retraite en 2011 sans être sanctionné pour des comportements que l'Université qualifie maintenant d'« inacceptables ». Quatre ex-étudiantes ont raconté à La Presse avoir subi ou été témoins de tels agissements de la part de l'intellectuel de renom. M. Larose nie toute relation non consensuelle.

Le fait que ce professeur ait pu s'en sortir sans sanction illustre les failles du processus actuel, a affirmé le recteur Guy Breton en entrevue. 

« On n'est pas bien équipés à l'Université. S'il n'y a rien qui change, ça va être encore pareil dans cinq, dix, vingt ans », a-t-il dit. « On est patients, mais à un moment donné il faut arriver à une conclusion. Je comprends l'impatience des étudiants qui eux vivent ça au quotidien et qui aimeraient bien que le gouvernement conclue ce dossier-là. »

« C'est un dossier qui suscite vraiment beaucoup d'inquiétudes, les préoccupations de la communauté étudiante », a justement affirmé en entrevue Jessica Bérard, porte-parole de la Fédération des associations étudiantes de l'Université de Montréal sur ce dossier. Le système actuel « instaure une culture du silence », a ajouté le président de l'organisation, Simon Forest, qui a qualifié le processus « d'opaque » et « inéquitable ».

Mais du côté du syndicat des professeurs, on accuse l'administration d'avoir instrumentalisé un sujet qui fait les manchettes - les inconduites sexuelles - pour faire passer plus facilement un projet beaucoup plus large de changement à la Charte de l'université.

« Les étudiants font de la désinformation », a fait valoir Jean Portugais, son président, qui critique les attaques « agressives » et insultantes » de l'association ». Selon lui, il n'est pas nécessaire de modifier la Charte de l'Université de Montréal pour mieux protéger les victimes de harcèlement sexuel. M. Portugais voudrait que ces plaintes soient traitées à l'externe plutôt que par l'administration universitaire.