L'Université Laval a tourné le dos à la création d'un centre de recherche portant le nom de l'ancien premier ministre Brian Mulroney après qu'une majorité de professeurs de la faculté de droit s'y furent opposés.

Le Centre Brian Mulroney de droit international et transnational devait porter le nom de l'un des plus illustres anciens étudiants de cette université. M. Mulroney a d'ailleurs annoncé en 2016 la création d'un institut sur la gouvernance à une autre université qu'il a fréquentée dans sa jeunesse, St. Francis Xavier, située à Antigonish, une petite municipalité d'environ 5000 habitants de la Nouvelle-Écosse.

L'ancien premier ministre, qui travaille sur ce projet depuis plus de quatre ans, a réussi à amasser 100 millions de dollars pour l'établissement d'enseignement fréquenté par quelque 4500 étudiants grâce à une collecte de fonds. À cette somme impressionnante, il a aussi réussi à ajouter 10 millions de dollars en dons qui serviront à remettre des bourses à des étudiants autochtones, entre autres. M. Mulroney s'est donné comme objectif de doubler la somme destinée aux bourses d'ici un an.

À l'Université Laval, la création d'un centre portant le nom de l'ancien premier ministre devait aussi permettre à l'établissement de recevoir des millions en financement privé. Mais le projet, qui était si méconnu que même le syndicat des professeurs en ignorait l'existence, ne verra finalement pas le jour.

Vote extrêmement serré

Selon ce qu'a appris La Presse, les professeurs de la faculté de droit de l'Université Laval se sont opposés au terme d'un vote extrêmement serré à la création de ce Centre de recherche Brian Mulroney. Selon des sources, le vote a eu lieu le 23 février en assemblée professorale : une faible majorité (un ou deux votes, selon les sources) a rejeté l'idée de ce centre de recherche.

Le vote n'était que consultatif. Les règlements de l'Université prévoient que «la décision de créer une chaire demeure la prérogative exclusive du Comité exécutif de l'Université Laval». Mais la direction a tout de même décidé d'abandonner le projet de Centre Brian Mulroney. Laval sollicitait des dons pour la création du Centre sur son site internet jusqu'à vendredi dernier.

Aucun membre de la direction ou porte-parole de l'Université Laval n'a accepté de parler à La Presse. Dans un bref courriel, l'Université a toutefois confirmé la nouvelle.

«Le projet de création d'un centre de droit international et transnational portant le nom de l'ancien premier ministre ne sera pas poursuivi par la faculté de droit», a affirmé la porte-parole Andrée-Anne Stewart. «Aucune campagne de financement n'avait encore démarré pour ce projet et le fonds qui avait été ouvert en prévision de cette campagne a été fermé.»

Quatre professeurs de la faculté de droit ayant pris part au vote secret ont confirmé l'histoire, mais aucun n'a accepté que son nom apparaisse dans cet article. L'un de ceux ayant voté contre le projet affirme qu'il ne veut «pas jeter de l'huile sur le feu» en parlant publiquement. Un de ceux qui y étaient favorables pense que ce vote «n'est pas le moment le plus glorieux de la faculté».

Plusieurs raisons ont été évoquées pour expliquer le vote. Chose certaine, l'idée qu'un ancien politicien donne son nom à un centre universitaire a indisposé plusieurs professeurs de droit à qui nous avons parlé.

Bourse à la mémoire d'un ami

Joint hier par La Presse, M. Mulroney a indiqué n'avoir jamais donné son approbation pour une telle initiative à l'Université Laval. Il a précisé avoir pris contact avec l'établissement, de concert avec Yves Fortier, il y a quelques mois, afin de créer une bourse à la mémoire de son ami et ancien chef de cabinet Bernard Roy, mort d'un cancer en 2013.

Comme M. Mulroney, M. Roy a obtenu un diplôme en droit de l'Université Laval. MM. Mulroney et Fortier s'étaient engagés à amasser de 300 000 à 500 000 $ pour attribuer des bourses aux étudiants en droit. Après avoir donné le feu vert, les dirigeants de l'Université Laval ont proposé à M. Mulroney de mener un projet semblable à celui qu'il pilotait pour St. Francis Xavier. Mais l'ancien premier ministre dit avoir décliné l'offre, affirmant vouloir concentrer tous ses efforts sur la campagne de financement de l'établissement d'enseignement de la Nouvelle-Écosse avant d'entreprendre tout autre projet.

«Je n'ai pas donné mon accord pour le projet de l'Université Laval, car je veux terminer ce que j'ai entrepris pour St. Francis Xavier d'abord et avant tout», a affirmé M. Mulroney.

L'ancien premier ministre a précisé que l'institut de gouvernance qui portera son nom à St. Francis Xavier sera inauguré au printemps 2019.

Le président du Syndicat des professeurs de l'Université Laval (SPUL) n'était pas au courant de ce projet précis. Mais John Kingma explique que les professeurs sont de plus en plus appelés à se prononcer sur la création de chaires financées par le privé dans le contexte du sous-financement des universités.

«Avec l'état du financement, c'est difficile de financer des postes de professeur. Alors c'est un moyen d'engager de nouveaux professeurs, surtout avec un profil de recherche, note M. Kingma. Des fois, les professeurs décident en assemblée qu'ils ne souhaitent pas continuer dans cette voie-là. C'est de leur ressort.»

Un projet de 60 millions

À St. Francis Xavier, l'Institut de gouvernance Brian Mulroney qui est en cours de construction devrait coûter 60 millions. Dans une enquête, The Toronto Star et CBC ont dévoilé la liste des contributeurs : plusieurs milliardaires et millionnaires, dont Victor Dahdaleh et Wafic Said, qui ont reçu quelques mois après leurs dons des doctorats honoris causa de l'université néo-écossaise.

Dans les années 50, Brian Mulroney a étudié les sciences politiques à St. Francis Xavier, avant de déménager à Québec pour étudier le droit à l'Université Laval. C'est d'ailleurs à cette université que M. Mulroney a fait la rencontre de plusieurs étudiants qui allaient avoir une carrière politique, comme Lucien Bouchard.