Vincent Duguay, un élève de 15 ans de Saguenay, ne sait pas si la mise en demeure qu'il a adressée à sa commission scolaire incitera vraiment la direction de son école à cesser de confisquer les téléphones cellulaires des élèves pris à s'en servir en classe. Mais cette démarche constitue assurément une formidable expérience pour le jeune homme, qui rêve de faire des études de droit.

« J'ai eu des félicitations de certains de mes professeurs, qui trouvent que ça peut être bon de remettre en question les règles, si c'est fait de façon correcte », a raconté l'adolescent en soirée hier, après avoir enchaîné une dizaine d'entrevues depuis le matin, sans manquer un seul cours, a-t-il précisé.

C'est « une question de principe » qui a incité Vincent Duguay, élève en quatrième secondaire à l'école Charles-Gravel, à Chicoutimi-Nord, à adresser une mise en demeure à la commission scolaire des Rives-du-Saguenay. « Ce n'est pas parce qu'on est jeunes qu'on ne peut pas défendre nos droits », dit-il.

Comme la plupart des établissements scolaires, l'école Charles-Gravel interdit l'utilisation du téléphone cellulaire en classe, un règlement que Vincent ne remet pas en question.

Mais selon lui, confisquer pour 24 heures le téléphone des contrevenants est une sanction exagérée.

« Le cellulaire est tellement important dans la vie des jeunes, comme moyen de communiquer avec les parents, avec l'employeur, pour la sécurité... », souligne-t-il.

« Avec tout ce qu'il y a dans un appareil, les photos par exemple, c'est la possession la plus précieuse pour bien des jeunes », dit-il.

Il fait valoir que d'autres sanctions seraient plus appropriées pour ceux qui contreviennent au règlement, comme des retenues, par exemple.

Et il appuie ses arguments sur la Charte des droits et libertés de la personne (CDLP). Cette punition « viole le droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens (art. 6 CDLP) », avance-t-il dans la mise en demeure de six pages remise à la commission scolaire.

La Charte prévoit qu'il est possible de limiter un droit fondamental, mais à certaines conditions seulement. Selon Vincent Duguay, le règlement de son école ne respecte pas ces conditions.

DÉBAT LÉGAL

Son argument tiendrait-il la route devant un juge ? Ça reste à voir.

« Même s'il est capable de démontrer que la confiscation de son cellulaire est une atteinte à son droit à la jouissance paisible de ses biens, il me semble que les commissions scolaires et les écoles vont avoir des arguments assez sérieux à faire valoir pour démontrer que c'est une atteinte justifiée dans le contexte scolaire », souligne Louis-Philippe Lampron, professeur de droit à l'Université Laval.

Pierre Bosset, professeur de droit public à l'Université du Québec à Montréal (UQAM), mentionne quant à lui qu'il pourrait y avoir un débat pour déterminer si le code de vie de l'école peut être considéré comme une loi au sens de l'article 6 de la CDLP.

« Dans la mesure où le code de vie a été validement adopté au sens de la Loi sur l'instruction publique, on est devant une loi au sens de l'article, à mon avis. Et les mesures restrictives sont valides, selon moi », dit Pierre Bosset.

En tout cas, si le débat lancé par Vincent Duguay se retrouve devant les tribunaux, le jeune homme a déjà reçu des propositions d'avocats prêts à l'épauler de façon bénévole dans sa démarche.

La direction de l'école doit sans doute se réjouir de l'appui de son élève au règlement interdisant le téléphone cellulaire en classe.

« C'est clair que le cellulaire en classe est un fléau, il faut l'interdire. Malgré l'interdiction, il y a des élèves qui textent en classe, c'est un manque de respect envers l'enseignant et c'est certain que ça nuit à la concentration », dit Vincent Duguay.

Mais comment encadrer l'usage de cet appareil, dont bien des gens ne peuvent plus se passer, jeunes ou adultes ? « Oui, c'est un fléau dans les classes, tant au secondaire qu'au cégep et à l'université », répond Thierry Karsenti, professeur à la faculté des sciences de l'éducation de l'Université de Montréal, qui a mené récemment une étude sur l'utilisation du téléphone cellulaire en classe. « Mais même si on adopte des règlements, c'est impossible de le contrôler. Ce qu'il faut, c'est faire participer les jeunes au débat sur son encadrement, faire la sensibilisation pour les éduquer au bon usage de leur appareil, et inciter les enseignants à s'en servir à des fins éducatives. »

« Je suis ravi que cette histoire ramène le débat dans l'actualité, parce qu'il y a une leçon éducative à en tirer. »

COMMENTAIRES HAINEUX

S'il a reçu de nombreux appuis, Vincent Duguay a aussi dû composer avec plusieurs commentaires disgracieux à son sujet. 

« Je ne peux pas convaincre tout le monde. Et je comprends en même temps la réticence des gens. C'est un sujet qui suscite les réactions, car ça concerne l'autorité, les nouvelles technologies », dit l'adolescent. 

« Mais quand je lis que je suis un "enfant-roi" ou que "des coups de pied se perdent", je ne réponds pas. D'autres m'ont dit de consacrer mon temps à d'autres causes. Ces gens ne savent justement pas sur quelle autre cause je mets du temps », dit Vincent Duguay.

En effet, cette mise en demeure n'est pas la première de Vincent Duguay. À l'automne dernier, après avoir été traité différemment des clients adultes dans un Dollarama du secteur de Chicoutimi-Nord, l'adolescent a fait parvenir une mise en demeure à l'entreprise. Les jeunes étaient surveillés et ils ne pouvaient pas magasiner plus de deux à la fois. Ils devaient faire la file à l'entrée du commerce. Quelques semaines après cette mise en demeure, des jeunes ont dénoncé cette même situation dans une succursale de Jonquière, faisant ainsi les manchettes.

Vincent Duguay, qui représente également deux autres jeunes dans cette affaire, est en discussion avec Dollarama pour une entente à l'amiable.

- Avec Le Quotidien

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DES SANCTIONS PLUS SÉVÈRES


Des polyvalentes du Saguenay vont encore plus loin dans leurs sanctions que celle fréquentée par Vincent Duguay, ont dénoncé des élèves. En effet, à la polyvalente de Jonquière, le code de vie interdit l'utilisation, mais également le port du téléphone cellulaire dans les classes et ailleurs dans l'école. À la première infraction, l'enseignant confisque le téléphone non pas pendant 24 heures, mais pendant trois jours. Au deuxième manquement, le téléphone est confisqué pour une période de cinq jours ouvrables, et c'est un parent qui doit venir le récupérer en main propre, peut-on lire dans le code de vie publié sur le site de la polyvalente. Si l'élève se fait prendre une troisième fois, le téléphone est confisqué pour une période indéterminée. - Le Quotidien

PHOTO ROCKET LAVOIE, LE QUOTIDIEN

Dans la mise en demeure qu'il a adressée à sa commission scolaire, Vincent Duguay appuie notamment ses arguments sur la Charte des droits et libertés de la personne.