Au Québec, 1 garçon sur 12 et 1 fille sur 50 se sont déjà rendus en classe munis d'objets dangereux comme un couteau, une chaîne, une arme à feu ou une imitation d'arme à feu. Et c'est souvent pour se défendre - parce qu'ils sont victimes d'intimidation -, et non parce qu'ils sont membres de gangs de rue.

Ces données inédites sont tirées d'une grande enquête sur la sécurité et la violence à l'école, menée par des chercheurs de l'Université Laval auprès de 28 015 élèves, dans 79 écoles secondaires publiques. En croisant les réponses des jeunes, une étudiante à la maîtrise en psychopédagogie a pu démontrer pour la première fois que les victimes d'insultes, de menaces ou de coups sont plus susceptibles que les autres d'apporter des armes à l'école.

«Le stress ressenti par [ces] élèves les amèneà se protéger par eux-mêmes», écrit dans son mémoire Catherine Clouston, étudiante à la maîtrise en psychopédagogie.

Mme Clouston souligne aussi dans son mémoire que «se munir de ce type d'objet peut s'avérer dangereux pour la propre sécurité du jeune, même s'il ne l'apporte que pour se sécuriser sans avoir l'intention de s'en servir». Tandis que si une victime devait se transformer en agresseur, cela entraînerait «des conséquences sérieuses» pour elle et pour son environnement.

Des armes à feu?



Fait marquant, 307 élèves ont déclaré avoir déjà apporté une véritable arme à feu à l'école. Cela représente 1,1 % des sondés, et près de 4000 jeunes à l'échelle de tout le Québec. «Il serait important d'identifier comment les jeunes peuvent s'en procurer», écrit Mme Clouston.

«Obtenir une arme à feu est très difficile au Canada. Cette donnée est peut-être gonflée, car les jeunes exagèrent parfois», prévient Tracy Vaillancourt, psychologue à l'Université d'Ottawa et membre de la Chaire de recherche du Canada en santé mentale des enfants et en prévention de la violence.

«Ce chiffre me semble improbable en zones urbaines, renchérit Lila Amirali, pédopsychiatre à l'Hôpital de Montréal pour enfants. Par contre, nous sommes souvent très inquiets pour nos jeunes des régions rurales, où les armes sont beaucoup plus accessibles à cause de la chasse.»

Chose certaine, aux quatre coins de la province, les élèves se munissent surtout de couteaux - près de 11 000 jeunes l'ont déjà fait -, si l'on se fie aux données de l'Université Laval.

«Moi-même, je traînais un canif dans mes poches quand j'étais jeune; pas pour m'en servir, pour me sécuriser. Mais je n'en ai jamais parlé aux adultes», raconte Jasmin Roy, qui a créé une fondation portant son nom pour lutter contre l'intimidation scolaire.

L'animateur a été consulté au sujet d'un garçon de la Côte-Nord qui avait sorti un couteau en pleine cafétéria pour que ses harceleurs le laissent tranquille. «Le garçon a été retiré de l'école. Il s'est donc retrouvé une deuxième fois victime.

«Quand tu es rendu là, c'est que la communauté n'a pas été sensible à tes problèmes. Il faut intervenir à temps.»

Très en colère



Pourquoi un jeune intimidé s'arme-t-il ? «Une personne très victimisée peut devenir très en colère, répond la Dre Amirali. La frontière entre l'autodéfense et l'agression n'est pas toujours nette. À l'hôpital, on voit beaucoup d'enfants qui sont à la fois agresseurs et victimes.»

Un élève profondément attaqué dans son identité et ayant été exposé à la violence dans sa famille et sa communauté risque davantage de se servir de son arme, dit-elle.

Un de ses jeunes patients ostracisés à l'école avait des pensées suicidaires accompagnées de pensées extrêmement violentes à l'égard de ses agresseurs. «Il devait sortir de ce milieu-là. S'il était resté là-bas, je ne sais pas comment il aurait réagi. Les adolescents n'ont pas encore atteint la maturité cérébrale.»

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Jasmin Roy a créé une fondation portant son nom pour lutter contre l'intimidation scolaire.