Peu après l'heure de la cloche dans les écoles, les événements ont pris une tournure inattendue, mercredi matin, dans une école juive hassidique jugée clandestine, au 6355, avenue du Parc, au coin de la rue Beaubien, dans le quartier Rosemont. En quelques secondes, plusieurs voitures du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ont encerclé l'établissement, et une douzaine d'agentes de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) ont pénétré dans le vieux bâtiment industriel.

Au départ, le signalement concernait une soixantaine d'élèves de l'âge du primaire, mais les agents du centre jeunesse ont vite constaté qu'une quarantaine d'adolescents fréquentaient aussi l'école, selon les informations obtenues sur les lieux. Pendant que le porte-parole du SPVM, Abdullah Emran, confirmait « porter assistance à la DPJ sur place », on se refusait à tout commentaire à la direction des communications de la DPJ (centres de la jeunesse et de la famille Batshaw) de l'Ouest-de-l'Île-de-Montréal.

Photo Patrick Sanfaçon, La Presse

Lors de l'intervention de la DPJ et de la police, les enfants étaient toujours à l'intérieur de l'école.

Durant toute la matinée, les agents de la DPJ auraient soumis les jeunes à des tests de connaissances générales, selon des informations recueillies, mais qui n'ont pas été confirmées officiellement. Lors du passage de La Presse, des enfants derrière des vitres et un grillage de l'immeuble semblaient amusés par la présence des caméras. Sur la porte d'entrée, il était inscrit en hébreu sur une affiche « Bienvenue au nom de Dieu » et, juste en dessous, « Talmud et Torah ».

Vers 13 h, les agents de la DPJ ont quitté les lieux sans réagir publiquement. Un peu plus tard, vers 14 h, un autobus scolaire s'est garé devant la porte principale du bâtiment. Dans le calme, une trentaine d'enfants de l'âge du primaire sont montés à bord. Un peu plus tôt, quelques dizaines d'adolescents portant l'habit traditionnel juif orthodoxe avaient quitté les lieux en marchant, certains le sourire aux lèvres.

« ENFANTS TRAUMATISÉS »

Dans une courte déclaration, un conseiller représentant la communauté juive hassidique de l'établissement, Hershber Hirsch, a affirmé que la direction était en pourparlers depuis quelques semaines déjà avec la DPJ, mais que les agents avaient débarqué sans prévenir le matin même, accompagnés de policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

« Les enfants ont été traumatisés, a-t-il déploré. Nous avons collaboré avec la protection de la jeunesse, une autre rencontre est prévue. Nous allons continuer d'offrir notre collaboration. »

Une jeune mère de la communauté, qui passait par là avec un bébé dans une poussette, n'a pas apprécié la présence des policiers.

Après vérifications auprès de l'arrondissement de Rosemont-La Petite-Patrie, le porte-parole Serge Fortin a affirmé qu'un permis avait été accordé à l'établissement situé à cette adresse, en juin 2015, censé abriter une école spécialisée. Le permis a été accordé au nom de la Biznitz institution.

UNE MINORITÉ

Au Centre consultatif des relations juives et israéliennes, David Ouellette, directeur associé, a tenu à rappeler qu'il y a une vingtaine d'établissements scolaires juifs qui suivent le curriculum du ministère de l'Éducation et les normes au Québec.

« Dans ce cas-ci, nous ne parlons même pas d'une école illégale. C'est une école clandestine, souligne-t-il. Nous encourageons toutes les écoles à se conformer aux règles du Ministère. Nous avons confiance en l'intervention de la DPJ. Il faut aussi que les gens comprennent que les juifs hassidiques ne représentent que 15 % de notre communauté. Ils vivent de façon très fermée. »

« DRÔLE » DE HASARD

À Québec, la ministre déléguée à la Protection de la jeunesse, Lucie Charlebois, a préféré attendre les résultats de l'enquête de la DPJ avant de commenter le dossier de cette école. Elle a souligné que, par un « drôle » de hasard, cette intervention de la DPJ survient au moment où un comité interministériel sur les écoles illégales se trouve dans le « crunch » de ses travaux. Ce comité a été créé en juin 2014. Il a pour mandat de « proposer des solutions pour remédier au problème ».

« Je ne m'immisce pas dans le processus, parce qu'ils [les intervenants de la DPJ] sont autonomes », a-t-elle plaidé à la sortie de la réunion hebdomadaire du Conseil des ministres. « Il faut faire en sorte qu'il y ait un développement normal de chacun des enfants. C'est vrai là, et c'est vrai partout ailleurs. Alors je vais attendre les résultats sur ce qui se passe. Et à la lumière des résultats, on pourra commenter. »

Interrogée sur le long délai pour obtenir le rapport du comité, elle a soutenu qu'il s'agissait d'une situation complexe et que le gouvernement ne ferait pas les choses « à moitié ».

Si le ministre de l'Éducation, Sébastien Proulx, n'a pas émis de commentaire, les députés de l'opposition ont réagi. Le député du Parti québécois Alexandre Cloutier a qualifié de « tragique » la situation dans les écoles. À la Coalition avenir Québec (CAQ), le député Jean-François Roberge s'est dit soulagé et espère que le ministre de l'Éducation s'intéressera enfin aux écoles illégales.

- Avec la collaboration de La Presse Canadienne et de Pierre-André Normandin