Alors qu'elle se targue sur son site internet de posséder un piano «unique en Amérique du Nord», l'Université de Montréal a conservé son joyau, qui valait au moins 260 000$ au moment de l'achat, dans des conditions telles qu'il est aujourd'hui fissuré et très mal en point.

Ce piano Bösendorfer Imperial se trouve dans l'ancien couvent des Soeurs des Saints-Noms de-Jésus-et-de-Marie, un vieil édifice dont l'Université de Montréal cherche à se défaire et où le taux d'humidité - d'une importance capitale pour les pianos de valeur - a été mal contrôlé.

C'est ce qu'a constaté ces derniers jours Georges Bolte, qui est accordeur professionnel de piano et qui est propriétaire d'une école affiliée à Vincent-d'Indy.

Ses services avaient été retenus, explique-t-il, par un pianiste qui voulait toucher le piano en question. M. Bolte a été consterné par ce qu'il a vu. «Comment a-t-on pu laisser dépérir un tel joyau? J'ai compté cinq fissures. La table d'harmonie est très amochée.»

Un piano pour la faculté de psychologie

Le piano n'appartient pas à la faculté de musique, mais à celle de psychologie. Il fait partie du laboratoire BRAMS, laboratoire conjointement affilié aux Universités de Montréal et McGill, qui étudie l'effet de la musique sur le cerveau. Ce laboratoire, qui jouit d'une bonne réputation, a reçu en 2007 une subvention de 14 millions du Fonds canadien pour l'innovation.

À l'Université de Montréal, Mathieu Filion, porte-parole, nous a dit qu'il était impossible, hier, d'aller photographier le piano, mais qu'il est de toute façon en parfait état. C'est si vrai, a-t-il précisé, qu'un musicien s'apprête à enregistrer avec ce piano (ce que le pianiste en question, au téléphone, a nié, tout en se montrant reconnaissant à l'Université de Montréal de lui y avoir donné accès).

En raison de sa grande rareté, ce piano - et son état - est bien connu dans le milieu de la musique montréalais. «Nous avons été étonnés que l'Université de Montréal et l'Université McGill l'acquièrent il y a quelques années, nous a confié une personne réputée de l'industrie qui a préféré ne pas être identifiée. Le Bösendorfer est un piano européen extrêmement fragile, qui réagit mal à notre climat et qui doit être maintenu dans des conditions parfaites. Or, dans nos écoles et universités, de telles conditions ne sont pas réunies. Les pianos y sont en général en mauvais état.»

Au téléphone, Robert Zatorre, codirecteur du programme BRAMS pour l'Université McGill, a indiqué qu'il y avait effectivement eu un problème d'humidité dans le laboratoire, à un moment donné, mais a ajouté qu'à sa connaissance, le problème était maintenant réglé.

La réparation du piano, qui serait coûteuse, n'est pas à l'ordre du jour, a précisé le professeur Zatorre. Les finances des universités sont serrées, a-t-il noté, et les recherches du laboratoire, ces temps-ci, ne requièrent pas ce piano.

Le professeur Zatorre s'est montré à la fois surpris et irrité qu'on pose des questions sur ce piano précis, dans la mesure, a-t-il dit, où les universités «disposent de plusieurs autres équipements de valeur».

Entretien déficient

Pour sa part, Georges Bolte est loin d'être certain que le piano a été victime d'un problème isolé. Quand il est allé l'accorder, l'humidité de la pièce était encore nettement inadéquate, à son avis. «Dans le fond, la meilleure chose serait de leur retirer le précieux instrument et de le confier à des mains attentives», croit-il.

Une source à l'Université de Montréal, très au fait de l'état de détérioration du piano, a précisé que cet instrument n'est plus entretenu régulièrement, pas plus que les instruments de la faculté de musique. «Il n'est plus entretenu et je ne sais pas trop qui l'utilise.»

Le piano se trouve dans l'ancien couvent des soeurs des Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie qui s'est trouvé au coeur d'une saga judiciaire. L'Université de Montréal avait entrepris en 2012 de vendre à perte et sans appel d'offres public l'ancien couvent à l'entrepreneur Frank Catania, avant que la transaction ne soit annulée en raison de procédures judiciaires.

Photo tirée du site web de l'Universite de Montréal.

Selon ce qu'a appris La Presse, le piano n'est plus entretenu régulièrement, pas plus que les instruments de la faculté de musique. 

Une marque prestigieuse

L'Université de Montréal ne nous a pas révélé combien vaut le piano Bösendorfer, une prestigieuse marque viennoise. Vérification faite auprès d'un expert, le prix suggéré du Bösendorfer Imperial, à l'époque où il a été acheté par l'Université de Montréal, était de 190 000$. Comme il était destiné à des études en psychologie, on l'a adapté et on lui a ajouté des caractéristiques propres, ce qui a gonflé la facture de 70 000$, de sorte que le piano est notamment capable de capter le mouvement et de reproduire des notes qui viennent d'être jouées.