Un élève sur cinq - voire près de un sur trois dans certaines commissions scolaires - est aujourd'hui considéré comme handicapé ou ayant un problème d'apprentissage ou d'adaptation, selon les statistiques du ministère de l'Éducation obtenues par La Presse. La quantité d'enfants «dys-quelque chose» ou qui présentent un problème d'attention ou de comportement fait sourciller un nombre grandissant d'experts, qui parlent de surdiagnostic, d'étiquettes distribuées à la va-vite ou de médicalisation de l'échec scolaire. Résultat: ceux qui ont vraiment un problème sont très mal aidés.

«Dyslexique, dysorthographique, dyspraxique, dyscalculique, TDAH: parfois, dans mon bureau, je me retrouve avec des enfants qui se sont fait dire qu'ils ont tout, tout, tout!», lance Marie-Claude Béliveau, orthopédagogue et psychoéducatrice à l'hôpital Sainte-Justine.

Dès qu'un enfant a deux ans de retard scolaire, «paf! on le décrètera dyslexique. On oublie qu'on a affaire à des enfants en plein développement. On donne des étiquettes trop vite, en tournant souvent les coins rond».

À titre d'exemple, elle évoque le cas de ce garçon de 7 ans qui a déjà reçu un diagnostic de dyslexie.

«C'est trop tôt. On ne peut pas parler de dyslexie avant 8 ans et demi ou 9 ans, dit-elle.

«La dyslexie, c'est un problème qui persiste en dépit des interventions pour corriger le problème. Pour dire qu'il y a dyslexie, encore faut-il avoir fait un réel suivi, ce qui n'est pas toujours le cas.»

Monique Brodeur, doyenne de la faculté des sciences de l'éducation de l'Université du Québec à Montréal (UQAM), relève d'ailleurs que certaines cliniques privées font valoir que de 12 à 15% des enfants seraient dyslexiques. «Or, la recherche, elle, parle plutôt de 3 à 6%.»

En matière de trouble de l'attention, même surenchère, selon Benoit Hammarrenger, neuropsychologue en cabinet privé. «Je dirais que parmi les enfants que je vois, un enfant sur huit environ s'est fait dire à tort à l'école qu'il a un déficit d'attention. L'enfant dont les parents viennent de se séparer pourra avoir du mal à se concentrer, et c'est normal. Mais comme tout le monde parle du trouble de l'attention, on a tôt fait de le soupçonner à l'école, alors que souvent, l'inattention, c'est le symptôme, pas la maladie en soi.»

Le Ministère préoccupé

L'augmentation exponentielle du nombre d'enfants qui présentent un problème particulier préoccupe le ministère de l'Éducation, sous pression pour ajouter des spécialistes dans les écoles. «On regarde les chiffres qui montent et qui montent, et on se pose des questions. Il y a toujours cette crainte du surdiagnostic», dit Yasmine Abdelfadel, attachée de presse du ministre Yves Bolduc.

«On espère que ces chiffres renvoient à des besoins réels d'enfants nécessitant une aide particulière et non pas à des considérations administratives ou financières», a dit Mme Abdelfadel, sans vouloir préciser.

Julien Prud'homme, professeur associé au Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie, à l'UQAM, crache le morceau. L'explosion du nombre de cas est dopé, dit-il, «par la formule de financement» par laquelle les écoles reçoivent des fonds supplémentaires pour les élèves dits «à risque».

Des ressources supplémentaires sont de fait versées depuis 2006 aux commissions scolaires pour les élèves «à risque», et ce, aussi bien pour l'école que pour les services de garde. Ces sommes varient selon que le problème est «sporadique» ou considéré comme permanent.

Pauvreté

Pour Julien Prud'Homme, «il y a médicalisation de l'échec scolaire. Ça crève les yeux que le recours au diagnostic individuel sert à éviter les questions qui dérangent, à savoir que si certains enfants éprouvent des difficultés à l'école, c'est parce qu'ils ne mangent pas à leur faim à la maison».

Il suffit, illustre-t-il, de jeter un oeil à la liste des écoles qui présentent les plus hauts taux de problèmes diagnostiqués pour constater qu'elles se trouvent dans les quartiers pauvres.

«L'inflation des diagnostics fait en sorte qu'il devient difficile d'envisager les problèmes d'apprentissage autrement que comme une pathologie individuelle, alors que beaucoup de ces problèmes résultent des inégalités socioéconomiques.»

C'est ce que croit aussi Line Laplante, professeure experte en dyslexie à l'UQAM. «En lecture, par exemple, de nombreuses difficultés ne sont pas attribuables à un désordre neurologique, mais à des facteurs sociofamiliaux ou scolaires.»

En chiffres

Proportion d'élèves handicapés ou en difficulté d'apprentissage ou d'adaptation (EHDAA) à l'école publique et privée

• 2002-2003: 12,5%

• 2012-2013: 19,1%

Commissions scolaires déclarant les taux d'EHDAA les plus élevés



• Commission scolaire de la Moyenne-Côte-Nord: 31%

• Commission scolaire de Saint-Hyacinthe: 30,6%

• Commission scolaire Eastern Townships: 30,2%

• Commission scolaire de la Vallée-des-Tisserands: 29, 5%

• Commission scolaire au Coeur-des-Vallées: 29,4%

• Commission scolaire Western Québec: 28,5%

• Commission scolaire de Portneuf: 27,4%

• Commission scolaire des Draveurs: 27%

• Commission scolaire Pierre-Neveu: 27%

• Commission scolaire de Laval: 27,1%

Source: ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport: étude des crédits 2014-2015

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À la Commission scolaire de Saint-Hyacinthe, 30,2% des élèves sont considérés comme handicapés ou présentant des problèmes d'adaptation ou d'apprentissage (EHDAA). C'est quand même énorme. Comment l'expliquer? «Oui, c'est énorme, confirme Caroline Dupré, directrice générale de la commission scolaire. C'est que chez nous, la culture du plan d'intervention est très développée.» Tous ces enfants, désignés comme étant «à risque» par les commissions scolaires, n'ont pas accès à des services spécialisés, très loin de là, mais ils auront un «plan d'intervention». «Parmi ces enfants-là, certains ont un problème situationnel: un problème de santé ponctuel, des problèmes familiaux, comportementaux, par exemple», explique Mme Dupré.

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Louise Lortie, présidente de la Commission scolaire de Laval, explique que chez elle, le nombre de plans d'intervention a presque doublé au cours des dernières années. Selon les dernières données du ministère de l'Éducation, 27,1% des élèves de cette commission scolaire en ont un. Sa commission scolaire reçoit-elle plus d'argent pour ces élèves étiquetés EHDAA? «À peine 15 millions de plus, répond Mme Lortie, qui ajoute que cet argent ne couvre qu'une toute petite partie des services spécialisés offerts par sa commission scolaire.

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À la Commission scolaire Eastern Townships aussi, le tiers des élèves a un «plan d'intervention». «Environ 45% des enfants qui entrent à l'école accusent déjà un retard de développement», explique Éric Campbell, secrétaire général de la commission scolaire. Il avance aussi que le nombre élevé d'enfants ayant un plan d'intervention est peut-être lié à l'isolement des anglophones de la région. «En milieu rural, peut-être les jeunes ont-ils accès à moins de services et à moins de stimulation.»