La réforme pédagogique mise en place dans les écoles québécoises il y a une quinzaine d'années ne remplit pas ses promesses. Elle réussit mal aux garçons, aux élèves d'écoles anglophones et aux jeunes à risque, tout en amenant les élèves qui ne sont même pas à risque à réussir un peu moins bien qu'avant la réforme, conclut une étude menée auprès de 3724 jeunes et de 3913 parents, qui a été commandée par le ministère de l'Éducation.

Une génération a été sacrifiée aux mains d'apprentis sorciers, dénonce un syndicat d'enseignants. Tout n'est pas noir, dit le ministre de l'Éducation, Yves Bolduc, qui se montre néanmoins préoccupé.

Les grands constats de l'étude en français

C'est en matière d'orthographe que les constats de l'étude (menée par des chercheurs de l'Université Laval) sont les plus préoccupants.

Les élèves de 5e secondaire ayant commencé leurs études secondaires en 2007-2008 (troisième année d'implantation de la réforme) affichent un taux de réussite de seulement 56% en orthographe à l'examen du Ministère, alors qu'il était de 61,8% pour les enfants d'avant la réforme.

Si les élèves de la réforme ont aussi moins bien réussi dans la rédaction d'un texte argumentatif, la chose est moins troublante dans la mesure où les chercheurs notent que les taux de réussite globaux à ce chapitre sont très élevés, qu'il s'agisse d'enfants de la réforme ou pas.



Les grands constats de l'étude en mathématiques


En mathématiques, «en dépit d'un ajout de 50 heures d'enseignement», la réforme «n'a pas eu l'effet bénéfique anticipé», peut-on lire.

À l'épreuve de mathématiques administrée par le Ministère en 5e secondaire, les élèves de la réforme ont obtenu des résultats légèrement inférieurs à ceux des jeunes qui l'ont précédée, «une différence qui s'accentue chez les élèves à risque et chez ceux venant de milieux défavorisés».

Pour l'expliquer, l'étude avance l'idée que les nouveaux programmes de mathématiques pourraient être «trop exigeants et peu adaptés» à la réalité des élèves défavorisés.

Des contenus ont pu être enrichis sans être assortis d'aide particulière.

Les élèves de la réforme ont eu des résultats inférieurs à ceux qui n'y ont pas été exposés tant en géométrie qu'en arithmétique et en algèbre.



Les effets de la réforme sur le taux d'obtention de diplôme


Dans les deux cohortes d'élèves de la réforme qui ont été suivies, les garçons, les élèves jugés «non à risque» de même que les élèves anglophones ont été proportionnellement moins nombreux à obtenir leur diplôme d'études secondaires que les jeunes d'avant la réforme.

«Dans la mesure où le renouveau pédagogique visait d'abord et avant tout à démocratiser la réussite scolaire et à diminuer le décrochage, force est de constater qu'il n'a pas produit les effets attendus», font remarquer les chercheurs.

Ce qu'en concluent les chercheurs

Un échec, cette réforme? Simon Larose, professeur et chercheur à la faculté des sciences de l'éducation à l'Université Laval et coauteur de l'étude, ne va pas jusque là, mais il admet qu'il n'avait pas prévu qu'autant de résultats seraient défavorables aux élèves de la réforme.

C'est d'autant plus surprenant, dit-il, que 150 heures de français ont été ajoutées au secondaire, de même que 50 heures de mathématiques au premier cycle du secondaire.

Même si les effets négatifs ne sont pas énormes, il reste que «même faibles, ces effets sont contraires à ce que les décideurs souhaitaient en implantant cette réforme du système éducatif».



La réforme vue par les parents et les élèves


La réforme n'a la cote ni du côté des élèves ni du côté des parents. En 4e secondaire, les cohortes d'élèves de la réforme trouvent le climat moins favorable aux apprentissages dans leurs classes.

Les parents d'enfants de la réforme se sont aussi dits moins satisfaits de leurs rapports avec l'école et, notamment, des bulletins scolaires.

Le retour de la moyenne de groupe dans le bulletin a un peu calmé l'insatisfaction des parents.

La réaction syndicale

«Une génération a été sacrifiée aux mains d'apprentis sorciers», dénonce Sylvain Mallette, président de la Fédération autonome de l'enseignement.

«Ce constat d'échec, après que des centaines de millions de dollars ont été investis dans cette réforme, est d'une grande tristesse», a-t-il ajouté.

L'idée de départ de cette réforme, c'était d'accorder plus d'importance aux mathématiques et au français et de repenser le programme, souligne-t-il.

Or, dit-il, l'intention première de la réforme a été détournée par des fonctionnaires qui se sont mis en tête de changer toute l'approche pédagogique, la manière d'enseigner.

Tout comme M. Mallette, Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l'enseignement, voit depuis longtemps que cette réforme est un peu n'importe quoi. «Nos enseignants, laissés à eux-mêmes, ont fait des miracles. Sans eux, l'échec aurait été encore plus grand.»

La réaction politique

Convenant que l'étude en arrive à certains constats préoccupants, le ministre de l'Éducation, Yves Bolduc, fait remarquer que les élèves québécois se classent néanmoins très bien dans les palmarès nationaux et internationaux.

Particulièrement interpellé «par l'écart entre les filles et les garçons», M. Bolduc a souligné qu'il faudra y veiller, ce qui peut passer par la création de programmes de sports-études.

Le chef caquiste François Legault, ex-ministre péquiste de l'Éducation qui a été l'un des grands artisans de la réforme, croit qu'il «ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain».

«Les fondements de la réforme étaient bons. [...] C'est dans la mise en application de la réforme, du côté de la formation des enseignants [...] qu'il y a eu des lacunes».

À son avis, cette réforme a été mal comprise par bon nombre d'enseignants qui ont pensé qu'il «fallait mettre de côté les connaissances, mettre de côté les anciennes approches pédagogiques pour les nouvelles».