Québec sanctionnera les parents qui contribuent au phénomène des « places fantômes » dans les garderies subventionnées.

La ministre de la Famille, Francine Charbonneau, a déposé hier un projet de loi sur «l'optimisation des services éducatifs à l'enfance subventionnés». Sa pièce législative vise surtout à mettre fin à la pratique des «places fantômes».

Québec verse malgré lui des subventions pour des places qui ne sont pas réellement occupées par un enfant. Par exemple, des parents signent une «fiche d'assiduité» indiquant que leur enfant fréquente une garderie pendant cinq jours par semaine, alors que ce n'est pas le cas. Ils acceptent malgré tout de payer le tarif pour cinq jours dans bien des cas. Et en agissant ainsi, ils déclenchent aussitôt le versement de subventions au bénéfice de la garderie, même pour les jours où leur enfant n'est pas présent.

Autre exemple: des garderies demandent aux parents de payer pour réserver une place tout en réclamant au gouvernement des subventions comme si l'enfant fréquentait déjà leur établissement. D'autres déclarent à Québec qu'un enfant est absent pour diverses raisons afin de continuer de recevoir des subventions alors que, dans les faits, celui-ci a quitté leur installation définitivement.

Pour lutter contre le phénomène, il faut « responsabiliser » autant les parents que les garderies, a soutenu Francine Charbonneau lors d'une mêlée de presse. Elle reconnaît que le parent se sent souvent pris en otage par la garderie dans ces situations. Mais il doit prendre conscience que « chaque fois qu'il paie une journée de plus » alors que son enfant n'est pas présent, « l'État paie une journée de plus ».

Selon le projet de loi, si Québec constate qu'un parent signe des fiches d'assiduité ou une entente de services avec une garderie qui contient des renseignements «faux ou trompeurs», le ministre «peut retirer à ce parent, pour une période de trois mois, la possibilité de bénéficier d'une place dont les services de garde sont subventionnés ». En clair, l'enfant ne perdra pas sa place. Le parent devra plutôt payer pendant trois mois le coût total de cette place puisque le gouvernement ne versera plus sa subvention. Dans le cas d'un CPE, on parle de 60 $ par jour. La sanction représenterait donc 3900 $.

Mais avant de l'imposer, le ministre doit «donner au parent l'occasion de présenter ses observations. Le ministre communique sa décision motivée par écrit, laquelle s'applique à compter de sa réception». L'entente de services entre le parent et la garderie est «résiliée à la date de la réception de la décision du ministre, et ce, sans autres formalités».

Le projet de loi prévoit également des sanctions contre les garderies. Si elle omet de conclure une entente avec un parent, y inscrit ou permet à un parent d'y inscrire des renseignements «faux ou trompeurs», une garderie est passible d'une amende de 250 $ à 1000 $.

Québec ne connaît pas l'ampleur exacte du phénomène des «places fantômes». Depuis 2009, les inspecteurs du ministère de la Famille ont constaté des « irrégularités dans le versement de subventions » dans 168 CPE, 179 garderies privées et trois bureaux coordonnateurs (des CPE chargés de superviser les garderies en milieu familial). Près de 10,5 millions $ ont été récupérés. Il s'agit d'une moyenne de 30 000 $ par installation.

Il y a aussi eu des enquêtes financières pour « irrégularités majeures » dans 15 CPE et garderies privées. Quatre établissements ont dû rembourser 250 000 $ au total. Les onze autres ont été forcés d'adopter un « plan de redressement » ou ont perdu leur permis.

Des enquêtes ont également permis de prendre en défaut 17 responsables de services de garde en milieu familial. Québec a pu récupérer une somme totale de 263 000 $, soit 15 500 $ par personne en moyenne. 

Dans un rapport déposé en décembre 2013, un comité de travail soulignait qu'il y avait un écart dans les CPE entre le taux d'occupation des places - qui sert à calculer les subventions - et le taux de présence réelle des enfants. En 2012-2013, le taux d'occupation était de 97,8 % alors que le taux de présence s'élevait à 78,3 % - en baisse depuis quelques années. Il recommandait de trouver des moyens de réduire cet écart «afin que les subventions financent des services réellement fournis aux parents».

Selon le rapport de la commission Robillard sur la révision des programmes gouvernementaux, l'État aurait versé 280 millions de dollars en subventions « pour des jours d'occupation sans présence d'enfants » en 2013-2014. « Outre les absences inévitables liées aux vacances familiales ou aux enfants malades », cette situation s'expliquerait par  « une différence entre les jours de fréquentation convenus dans les ententes de service et la consommation réelle des services ».

« Afin d'optimiser l'utilisation des places subventionnées », la commission recommande de définir le

financement des garderies « en fonction de la présence réelle des enfants, en tenant compte des congés obligatoires, des jours de vacances et des maladies des enfants ». D'après le ministère de la Famille, cette modalité permettrait de dégager des économies annuelles allant jusqu'à 50 millions de dollars, ajoute la commission.

Francine Charbonneau n'a pas été en mesure de préciser les économies que l'État dégagerait avec les mesures prévues à son projet de loi. Elle a toutefois indiqué que la lutte aux « places fantômes », la révision des modalités dans l'attribution des futures places subventionnées et d'autres mesures à venir permettront de faire des économies de 129 millions en 2018-2019.

Le Conseil québécois des services de garde éducatifs à l'enfance (CQSGEE), qui représente des CPE, a salué le projet de loi. En septembre, il soutenait qu'environ 10% des 15 000 responsables de service de garde en milieu familial du Québec contreviennent aux règles. Quinze millions en fonds publics leur seraient versés en trop, selon elle.