Le milieu du livre et le monde scolaire ont vivement dénoncé, vendredi, les propos du ministre de l'Éducation, Yves Bolduc, sur les bibliothèques scolaires.

Dans une entrevue accordée au quotidien Le Devoir, le ministre a laissé entendre qu'il ne voyait aucun problème à ce que les commissions scolaires réduisent leurs budgets consacrés à l'achat de livres pour leurs bibliothèques, confrontées qu'elles sont aux compressions budgétaires imposées par Québec. Il y a suffisamment de livres dans ces bibliothèques scolaires, a-t-il tranché.

Le premier ministre Philippe Couillard semblait lui-même en désaccord avec son ministre de l'Éducation. «Je pense qu'il y a d'autres choix à faire par les commissions scolaires avant de toucher les livres», a-t-il opiné.

«La base de notre éducation, une des bases de notre éducation, c'est la qualité de notre langue. Et la qualité de notre langue, elle s'obtient par la lecture, mais pas juste à l'école», a ajouté le premier ministre, qui se trouvait dans son bureau de comté, à Dolbeau-Mistassini.

Du côté de l'opposition, on a dénoncé les propos du ministre de l'Éducation. La porte-parole de l'opposition officielle pour ces dossiers, la péquiste Nicole Léger, déplore l'irresponsabilité du ministre. «Quel exemple cela envoie-t-il aux enfants et aux étudiants?» demande-t-elle.

Mme Léger, qui rappelle les démêlés du ministre Bolduc concernant sa prime lorsqu'il travaillait à la fois comme député dans l'opposition et médecin de famille, croit qu'il s'agit là d'une autre preuve qu'il devrait démissionner.

Le porte-parole de la Coalition avenir Québec pour ces questions, Jean-François Roberge, a également dénoncé «l'irresponsabilité» du ministre et rappelé qu'il s'était engagé à ce qu'il n'y ait pas de coupes dans les services aux élèves.

«Je vois mal comment on peut penser que des bibliothèques scolaires dont l'offre de livres n'est pas renouvelée ne causeront pas de préjudice aux élèves qui apprennent à lire et qui aspirent à se cultiver», a commenté le député caquiste de Chambly.

Le milieu syndical scolaire était carrément outré. Louise Chabot, la présidente de la Centrale des syndicats du Québec, qui représente des milliers d'enseignants du primaire et du secondaire, des professionnels de l'éducation, dont des bibliothécaires scolaires, s'est dite «sans voix». Elle souhaite que le ministre se rétracte et demande aux commissions scolaires de ne pas réduire les budgets consacrés à l'achat de livres pour les bibliothèques.

«Pour plusieurs élèves, la bibliothèque scolaire est le seul accès aux livres et à la lecture, en dehors de la classe, particulièrement dans les milieux défavorisés. N'est-ce pas la mission première de l'école de susciter l'intérêt chez nos jeunes pour la langue et le savoir? Comment un ministre de l'Éducation peut-il l'ignorer?» a déploré la présidente de la Fédération des professionnels de l'éducation, affiliée à la CSQ, Johanne Pomerleau.

D'autres ont été moins diplomates.

«C'est assez idiot, je dois dire, de la part d'un ministre de l'Éducation. C'est inquiétant (de dire cela); c'est un manque de vision», s'est exclamée Hélène Derome, présidente des Éditions de la courte échelle.

En entrevue, elle s'est dite «ahurie, scandalisée» par de tels propos, tenus par un ministre de l'Éducation de surcroît. «On retourne 10, 15 ans en arrière», lorsqu'il fallait convaincre les gouvernements de réinvestir dans les bibliothèques scolaires. Elle note qu'encore aujourd'hui, les écoles sollicitent des dons de livres de la part des maisons d'édition, tant elles manquent de ressources en la matière.

Elle suggère au ministre Bolduc d'avoir au moins la franchise d'admettre que ses compressions budgétaires imposées aux commissions scolaires font mal, feront mal, affecteront les services aux élèves. «Qu'il ne fasse pas semblant que ça n'a pas de répercussions», juge Mme Derome.

Bryan Perro, auteur, éditeur et libraire, estime qu'il est carrément «faux» de prétendre que les bibliothèques scolaires du Québec sont suffisamment bien garnies, comme l'a soutenu le ministre Bolduc. Lui qui a rencontré de nombreux professeurs, bibliothécaires et élèves, a visité plusieurs écoles, assure que les bibliothèques «sont anémiques» dans plusieurs milieux. «Elles n'ont pas le matériel nécessaire pour bien faire le boulot qu'elles doivent faire.»

M. Perro rappelle que des études ont démontré que le fait d'inciter les jeunes à la lecture contribue à combattre le décrochage scolaire. La bibliothèque scolaire est un outil dans le coffre du professeur, de l'étudiant, souligne-t-il.