Gong Chen, 14 ans, est arrivé à Montréal en juillet 2012. Il est venu rejoindre son père, Yi Chen, qui avait immigré au Canada deux ans plus tôt. L'adolescent ne parlait pas un traître mot de français.

Dès son arrivée, Gong Chen s'est mis au travail. Le jour, il fréquentait une classe d'accueil. Le jeudi soir et le samedi, un tuteur lui donnait des leçons de français pendant trois heures. Et le dimanche, il terminait sa semaine avec un dernier cours de français dans une école de tutorat privée.

Aujourd'hui, à peine deux ans plus tard, Gong Chen se débrouille bien en français. Assez, du moins, pour avoir réussi l'examen d'admission au Collège Notre-Dame, où il vient de terminer sa deuxième secondaire.

«Je ne veux pas seulement donner de l'argent en héritage à mon fils, dit son père, Yi Chen, ex-directeur général d'une entreprise pharmaceutique américaine à Shanghai. Je veux lui offrir la meilleure éducation.»

Cette «meilleure éducation», la communauté chinoise de Montréal la cherche souvent dans les collèges privés réputés et les écoles publiques sélectives. Dans certains établissements, le nombre d'élèves de langue maternelle chinoise (mandarin et cantonais) a explosé depuis dix ans.

C'est particulièrement vrai au Collège Jean-de-Brébeuf, à Côte-des-Neiges. En 2002-2003, 3% des quelque 850 élèves avaient le cantonais ou le mandarin comme langue maternelle. Cette année, plus d'un élève sur cinq parle une langue chinoise à la maison, une proportion largement supérieure à ce que l'on retrouve dans les quartiers avoisinants (1% à 2% environ).

«Brébeuf a une très bonne réputation et tous les parents qui valorisent beaucoup l'éducation aimeraient ça, quelque part, que leurs enfants y étudient, souligne le directeur général du collège, Michel April. La communauté chinoise valorise énormément l'éducation.»

Les élèves de langue maternelle chinoise sont aussi beaucoup plus nombreux au Collège Jean-Eudes, au Collège Regina Assumpta et au Pensionnat du Saint-Nom-de-Marie, entre autres. À l'École d'éducation internationale de Montréal, à Westmount, les sinophones sont désormais plus nombreux que les francophones.

Les écoles publiques délaissées

À l'opposé, le réseau public à Montréal a vu sa clientèle chinoise fondre de 25% depuis dix ans, selon les données du Comité de gestion de la taxe scolaire de l'île de Montréal.

Comment expliquer ce changement? Au sein de la communauté chinoise, on avance plusieurs hypothèses.

D'abord, au secondaire, il y a un mouvement général de la population du public au privé: les écoles publiques montréalaises ont perdu 8% de leur clientèle en dix ans. Les jeunes d'origine chinoise sont aussi plus nombreux qu'il y a dix ans (hausse de 36% des 0 à 14 ans). Enfin, les écoles de tutorat sont plus connues de la communauté chinoise, et les nouveaux arrivants de Chine sont plus fortunés et peut-être mieux renseignés qu'avant.

Avant que son fils le rejoigne à Montréal, Yi Chen a consulté le palmarès des écoles secondaires que l'Institut Fraser a publié jusqu'en 2010. Il tenait mordicus à ce que son fils fréquente l'une des écoles en tête de liste.

«Après, il y aura le Collège Marianopolis (un cégep anglophone privé) et l'Université McGill», dit Yi Chen, en regardant son fils avec fierté. Il le voit médecin. Ou avocat. «Je veux qu'il soit un homme, qu'il soit utile pour cette société.»

Gong, lui, songe aussi au journalisme. Sa mère est une haut placée dans un grand quotidien de Shanghai. Lorsqu'elle prendra sa retraite, dans quelques années, elle viendra rejoindre son mari et son fils à Montréal. Gong Chen l'a vue quelquefois depuis son départ. Il s'ennuie d'elle. «Et de ma grand-mère aussi.»

Sacrifices

Comme Yi Chen, qui a laissé derrière lui ses proches et son emploi, plusieurs membres de la communauté chinoise sont prêts à faire d'énormes sacrifices pour assurer une bonne éducation à leurs enfants.

«En Chine, on dit que, si on n'a pas d'argent, on doit vendre sa casserole pour se payer une éducation, souligne Bradley Zhao, directeur du Collège Élite, une école de tutorat dont 70% de la clientèle est d'origine chinoise. Ce sont des traditions qui datent de milliers d'années.»

Plusieurs immigrants chinois inscrivent leurs enfants dans des écoles de tutorat, le samedi ou le dimanche. Les enfants y étudient les mathématiques, l'anglais, le mandarin... Au Québec, loi 101 oblige, les cours de français sont particulièrement demandés.

«Au Québec, les enfants doivent parler un très bon français, pour leur pays et pour eux-mêmes, souligne Bradley Zhao. Plus tard, ils ne pourront pas seulement parler chinois au travail!»

Les écoles de tutorat offrent aussi aux enfants des camps d'été et des cours de préparation aux examens d'admission des «meilleures écoles secondaires». Dans des publicités publiées dans le journal de la communauté chinoise, des écoles énumèrent le nombre de leurs élèves admis dans différents collèges, dont Jean-Eudes, Jean-de-Brébeuf et Notre-Dame.

«Nous voulons que nos enfants soient dans les meilleures écoles, parce que nous ne pouvons pas les aider beaucoup, nous ne parlons pas la langue, souligne Bradley Zhao. Nous avons besoin d'une école pour le faire en notre nom.»

Nombre d'élèves de la langue maternelle chinoise:

(Progression entre 2002-2003 et 2012-2013)

Collège Jean-de-Brébeuf: de 24 à 158

Collège Jean-Eudes: de 5 à 223

Collège Regina Assumpta: de 30 à 211

Pensionnat du Saint-Nom-de-Marie: de 16 à 111

Collège Jean de la Mennais (La Prairie): de 49 à 164

École d'éducation internationale de Montréal: de 104 à 177

Source: MELS

Le secret de leur succès

Aux États-Unis, les élèves asiatiques ont de meilleures notes que les Blancs. Ils ont aussi plus de chances d'obtenir leur diplôme d'études secondaires et de fréquenter les meilleurs collèges. Pourquoi? La réponse se trouve dans la culture des Asiatiques et dans leur statut d'immigrants, selon l'étude Explaining Asian Americans' Academic Advantage Over Whites, publiée ce printemps par les professeurs de sociologie américains Amy Hsin et Yu Xie. Voici quelques éléments-clés de l'étude et les observations d'une directrice et d'enseignants de trois collèges privés montréalais prisés par la clientèle chinoise. 

L'effort mène à la réussite

Contrairement aux Blancs, les Asiatiques ne pensent pas que les aptitudes cognitives sont innées: à leurs yeux, c'est en travaillant fort qu'on les développe. Cette croyance incite les parents asiatiques, toutes origines confondues, à pousser leurs enfants au maximum. «Pour les parents asiatiques, l'éducation est très, très valorisée, constate Nancy Desbiens, directrice du Collège Jean-Eudes, où le cinquième des élèves est asiatique. Pour eux, c'est important que leurs jeunes fréquentent une école privée ou une école internationale.»

Des familles unies

Les familles asiatiques sont souvent tissées serré. Les parents peuvent donc transmettre facilement à leurs enfants leurs valeurs de travail et leurs attentes envers eux. Les enfants aussi ont des attentes élevées envers eux-mêmes. «Ils ont un niveau de performance élevé et ça tire le groupe vers le haut», constate Nancy Desbiens. Selon un enseignant d'un autre collège, les élèves asiatiques sont souvent «travaillants» et «à leurs affaires». «Lorsqu'ils interviennent, c'est pour poser des questions précises sur la matière.» Et pendant leur temps libre, ajoute-t-il, ils avancent souvent leurs travaux. «J'ai déjà vu une étudiante lire le dictionnaire entre les cours pour apprendre de nouveaux mots.»

Immigrants... et optimistes!

Les Asiatiques qui immigrent en Occident ont la conviction qu'ils pourront saisir des opportunités dans leur pays d'accueil, soulignent Amy Hsin et Yu Xie, dans leur étude. La décision d'immigrer témoigne donc d'un certain optimisme envers l'avenir, optimisme qui se reflète sur les bancs d'école. Comme ils ont peu de ressources dans leur pays d'adoption, les immigrants asiatiques considèrent l'éducation comme la façon la plus efficace de gravir les échelons sociaux.

Des ressources dès l'arrivée

Écoles de tutorat, cours du week-end, préparation aux examens d'admission: les nouveaux arrivants asiatiques ont plusieurs ressources à leur disposition. Cela leur confère un avantage sur d'autres communautés ethniques, souvent plus démunies. «Si les enfants ont de la difficulté à l'école, leurs parents sont prêts à payer pour des professeurs d'appoint», souligne une enseignante d'un autre collège privé.

Le prix de la performance

Cette culture de performance a un prix: les Américains d'origine asiatique ont une perception d'eux-mêmes moins positive que leurs compatriotes blancs, rapporte l'étude d'Amy Hsin et Yu Xie. Ils ont des attentes très élevées envers eux-mêmes parce qu'ils se comparent aux modèles de réussite extrême de leur communauté. «Les élèves asiatiques font plus de griefs sur leurs notes, ils nous demandent pourquoi ils n'ont pas eu la note maximale, souligne l'enseignant. De temps en temps, ils craquent. J'ai vu des filles pleurer parce qu'elles avaient 70%, 75%.» Toujours selon l'étude, les jeunes d'origine chinoise passent moins de temps avec leurs pairs et sont plus susceptibles d'entrer en conflit avec leurs parents.

L'assimilation de la 3e génération

Au fil des générations, les enfants asiatiques assimilent les normes et la culture américaines... et aussi leurs habitudes scolaires. À partir de la troisième génération, lit-on dans l'étude, les enfants asiatiques ne sont pas plus performants que les autres à l'école.