De l'avis général, leur école est laide. Bétonnée, grise, sans âme, à l'instar de tant de polyvalentes construites dans les années 70. Mais depuis quelques semaines, le millier d'élèves de l'école secondaire Fernand-Lefebvre lui trouvent un look d'enfer, au point qu'ils invitent leur parenté à venir l'admirer.

Tout est parti d'un projet emballant, dans tous les sens du terme.

Une ancienne de l'école, Nathalie Bergeron, devenue photographe professionnelle spécialisée en projets d'intervention sociale, a eu l'idée de faire participer les élèves au projet de collage format géant Inside Out, auquel ont déjà participé des dizaines de milliers de personnes souvent défavorisées issues de 112 pays dans le monde.

Formant des tandems, le millier d'élèves de l'école secondaire Fernand-Lefebvre, y compris ceux d'un pavillon fréquenté par des élèves aux prises avec des déficiences intellectuelles, ont ainsi été invités à se prendre mutuellement en photo. Les portraits ainsi produits seraient agrandis en format géant et collés sur tous les murs extérieurs de l'école.

Au départ, explique Michaël Guérin, un élève de la cinquième secondaire, certains jeunes, défaitistes, se sont fait tirer l'oreille. «Il y en avait qui disait: «On est à Sorel, ça ne marchera pas.»»

C'est que Sorel-Tracy, très durement touché par les pertes d'emplois, a le caquet bas, ces années-ci. «C'est un peu le Shawinigan de la Montérégie», illustre l'enseignant Patrick Lamothe, qui a coordonné le projet avec Nathalie Bergeron.

Le but, explique Mme Bergeron, c'était justement de faire relever la tête à ces jeunes qui fréquentent une école classée parmi les plus défavorisées de la province. Une polyvalente ni très jolie ni très photogénique, par surcroît, «que les jeunes, ici, comparent à une prison», note Mme Bergeron.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Le but du projet de collage Inside Out était de faire relever la tête à ces jeunes qui fréquentent une polyvalente classée parmi les plus défavorisées de la province.

Les rudiments de la photographie

Faisant abstraction de tout cela, 1002 élèves se sont attelés à la tâche. Ils ont pris la pose, apprenant les rudiments de la photographie au détour.

Bien sûr, comme c'est l'âge où l'on n'aime ni son nez, ni ses yeux, ni rien de l'image que renvoie le miroir, certains élèves, trop complexés, n'ont pas voulu qu'on voie tout leur visage, d'autant que toute retouche des photos était interdite. Pas grave: on a photographié leurs yeux.

Une fin de semaine de mai, une vingtaine de citoyens de Sorel-Tracy ont grimpé sur des échafaudages et sont allés coller les immenses photos aux murs de l'école.

Puis ç'a été l'inauguration. Une belle fête, avec des discours, pour remercier notamment les bénévoles et les entreprises qui, sans rien exiger, pas même l'impression d'un logo ou une reconnaissance officielle, ont fourni qui le papier, qui l'imprimante, qui le temps, explique l'enseignant Patrick Lamothe.

Depuis, il a plu, il a fait tous les temps. Les photos commencent à en souffrir. Elles se décolleront bientôt, mais ce projet continuera d'autant plus de compter, dit M. Lamothe, qu'il fera l'objet d'un documentaire de la cinéaste Geneviève Dulude-De Celles, elle-même originaire de Sorel.

Preuve du sentiment d'appartenance que le projet a su inspirer, les semaines ont passé, et pourtant «il n'y a toujours pas de graffitis sur les photos et aucun oeuf n'a été lancé», fait remarquer Mme Bergeron.

Fierté

La fierté est palpable. «Parfois, je vais dans la cour avec mes parents et on regarde les photos, raconte Michaël Guérin. On s'amuse à trouver nos portraits, le nôtre, celui de l'ami qu'on a photographié. On s'amuse aussi à essayer de reconnaître les yeux des uns et des autres. Et parfois, je vois d'autres élèves qui font pareil et qui sont dans la cour avec un oncle ou une tante», explique Michaël Guérin.

La fierté est d'autant plus grande, enchaîne-t-il, que chacun réalise qu'il participe à un projet qui a des ramifications partout dans le monde.

Ça se passe à Sorel-Tracy, dans une école peut-être pas jolie, mais qui a su rêver en format géant, en cette année scolaire qui s'achève.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

L'enseignant Patrick Lamothe est accompagné des élèves Rosalie Vilandré et Michael Guérin ainsi que de Nathalie Bergeron, photographe et instigatrice du projet Inside Out.