Presque n'importe qui peut diriger un service de garde en milieu familial à 7 $ au Québec. Les exigences de formation sont minimales. Et le contenu des rares cours exigés est souvent de piètre qualité. La preuve : sans compétences particulières en la matière, notre journaliste a obtenu un permis du gouvernement pour offrir des formations aux responsables de service de garde de la province.

Il est possible d'ouvrir un service de garde en milieu familial à 7$ au Québec simplement en suivant une formation de 45 heures dont la qualité et le contenu ne sont aucunement réglementés. Une situation qui inquiète plusieurs acteurs du milieu, a constaté La Presse.

«Même pas besoin d'avoir un diplôme de 5e secondaire. Quand on y pense, c'est très peu», estime Christa Japel, professeure au département d'éducation et de formation spécialisée de l'Université du Québec à Montréal (UQAM).

Les bureaux coordonnateurs, liés aux centres de la petite enfance, ont le mandat de délivrer les permis aux responsables d'un service de garde (RSG) en milieu familial, qui accueillent 92 000 enfants à l'échelle de la province. Depuis le 1er avril, quiconque veut obtenir un permis de RSG doit suivre une formation de 45 heures sur le développement de l'enfant, le programme éducatif et la sécurité, la santé et l'alimentation dans les trois années précédant sa demande de permis. Mais cette formation est nettement insuffisante, selon des directeurs de bureaux coordonnateurs interrogés par La Presse.

«Pour tenir une garderie en milieu familial, il faut plus que juste être bon avec les enfants. Il faut tout faire en même temps. Le ménage, la désinfection, l'alimentation, la gestion du matériel, le magasinage. C'est difficile! C'est complètement ridicule de ne pas demander plus de formation», estime la directrice d'un bureau coordonnateur de Montréal.

«Je demeure persuadée que cette formation de 45 heures est nettement insuffisante», renchérit Daphné Desrochers-Longchamps, de l'Association québécoise des centres de la petite enfance.

La qualité des ressources variable

Une responsable en service de garde peut accueillir jusqu'à six enfants si elle est seule et neuf si elle a une accompagnatrice.

Conséquence des faibles exigences envers les RSG: la qualité des services offerts dans les différentes ressources est très variable, estime un directeur de bureau coordonnateur de la grande région de Montréal. «Il y en a de très bonnes et de très mauvaises», dit-il.

Dans l'une des rares études publiées sur le sujet, en 2005, Mme Japel a conclu que la majorité des services de garde en milieu familial de la province étaient de qualité «minimale» et «ne favorisaient pas le développement de l'enfant».

Depuis, les RSG se sont syndiqués en 2008. Du soutien pédagogique leur est maintenant offert, mais sur une base volontaire. «La qualité des milieux repose souvent sur la qualité éducative des interventions. Et souvent, ce sont les meilleurs milieux qui vont demander, sur une base volontaire, du soutien pédagogique», dit Mme Japel.

Des formations ridicules 

Outre le cours de 45 heures sur le développement de l'enfant, les RSG doivent également suivre 6 heures de formation continue chaque année et 6 heures de formation en premiers soins tous les trois ans. Mais dans tous les cas, «rien ne vient standardiser le contenu des formations», dénonce Mme Desrochers-Longchamps.

La coordonnatrice sénior au service Secourisme, natation et sécurité nautique de la Croix-Rouge, Sylvie Santerre, indique que «le gouvernement n'a pas décidé ce que doit contenir le cours [de premiers soins] ni qui peut le donner». «C'est un peu n'importe quoi. Beaucoup de personnes donnent des cours au contenu incomplet», dit-elle.

Les cours de développement de l'enfance de 45 heures sont tout aussi problématiques, notent des directeurs de bureau coordonnateur. La Presse a mis la main sur le document d'une formation offerte par un homme se disant «accrédité par Emploi-Québec». Ce formateur est également recommandé par l'Alliance des intervenantes en milieu familial (ADIM), soit le syndicat qui représente les RSG.

Dans le document de formation, il est écrit que les RSG doivent apprendre l'alphabet aux enfants, ce qui fait sursauter certains responsables de bureau coordonnateur qui estiment que cette tâche appartient à l'école.

«Vous allez voir que les enfants vont apprendre plus vite, et même ils vont être capable [sic] de lire et d'écrire sans faute», peut-on lire dans le document.

Vers une formation uniforme

La vice-présidente de l'ADIM de Montréal, Nadia Lemsouri, assure que le syndicat «engage des formateurs compétents» pour offrir des formations aux responsables de garde. «Ce sont des professeurs de cégep ou des formateurs accrédités. La qualité de la formation est bonne», dit-elle.

«Au contraire. Il y a un manque de contrôle de la qualité des formations, et le réseau le sait», soutient Mme Japel.

Le regroupement des CPE de Montréal est d'ailleurs en train de créer une formation uniforme pour tous les RSG de la métropole.

«Les parents laissent la santé et la sécurité de leurs enfants à ces milieux. Il faudrait au moins s'assurer que les formations offertes soient de qualité», dit Mme Santerre.

Au ministère de la Famille, un comité de gestion de la formation continue des RSG a été créé en 2011. Mais aucune recommandation n'a encore été émise. Le comité a notamment demandé à la professeure Nathalie Bigras, du département d'éducation et de pédagogie de l'UQAM, d'évaluer la qualité des quelque 200 formations offertes aux RSG de la province. «On a vu des cours très variés. Certains plus sérieux. Mais aussi des cours de croissance personnelle et de décoration de gâteaux...», énumère Mme Bigras, qui doit présenter les résultats de son analyse au cours des prochains mois.

Peu qualifiée, mais diplômée

Preuve des règles minimalistes exigées pour obtenir une accréditation du gouvernement afin de devenir formateur en petite enfance, une journaliste de La Presse a obtenu un certificat de reconnaissance pour offrir des cours en «techniques d'éducation à l'enfance».

Nous avons formulé une demande en septembre dernier à la Commission des partenaires du marché du travail, affiliée à Emploi-Québec, pour obtenir un permis de formateur en petite enfance.

Plus de six mois après avoir fait notre demande à la Commission, au coût de 300 $, nous avons obtenu l'Agrément. Très peu de vérifications ont été faites sur notre dossier.

Sans avoir de compétences particulières en la matière, nous pourrions donc officiellement offrir des formations aux responsables de services de garde en milieu familial...

Coordonnatrice senior au département Secourisme, natation et sécurité nautique de la Croix-Rouge, Sylvie Santerre n'a pas été surprise par cette situation. Selon elle, Emploi-Québec «accrédite à peu près n'importe quoi».

Au ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale (MESS), on explique que selon les informations fournies dans le curriculum vitae de notre journaliste, nous répondions aux exigences pour être formatrice. «Il faut avoir trois ans d'expérience dans le milieu professionnel visé. Et il faut avoir 150 heures de formation en méthode de transmission des connaissances ou 250 heures d'expérience à titre de formateur», dit François Lefebvre, directeur des communications au MESS.

La Commission des partenaires du marché du travail a vérifié que nous avions reçu une formation courte en pédagogie à l'université et que nous avions bel et bien travaillé cinq ans dans un camp de jour. Cette expérience comme monitrice dans un camp de jour, qui remonte à plusieurs années, était suffisante comme expérience de travail.

«Il faut retenir qu'on n'accrédite pas la qualité de la formation que les formateurs donnent. On accrédite les formateurs.

On évalue la capacité d'une personne à donner une formation», explique M. Lefebvre, qui ajoute que «le règlement qui chapeaute l'agrément des formateurs est en révision». «Certaines étapes de la validation des compétences des formateurs pourraient être revues», dit-il.

Une journée de cours : quelques conseils, plusieurs approximations

La Presse a suivi une formation de secourisme, en novembre à Montréal. Le cours RCR Enfants et bébés/DEA, SA, devait durer sept heures, mais a plutôt duré quatre heures et demi. Le formateur avait été recommandé par l'Alliance des intervenantes en milieu familial (ADIM) et était reconnu par la Commission des partenaires du marché du travail. Voici un résumé de la journée. En italique, les commentaires de Sylvie Santerre, coordonnatrice senior au département Secourisme, natation et sécurité nautique de la Croix-Rouge.

9h

Une trentaine de personnes attendent dans le local d'un centre communautaire du nord de Montréal. Toutes des femmes, sauf trois. Le formateur prend les présences et remplit plein de formulaires. Les gens s'impatientent. Une dizaine de mannequins sont étendus sur le plancher de la classe.

Un cours de 30 personnes! C'est beaucoup! Nous acceptons des groupes de maximum 18 personnes, et ce, seulement si nous avons un mannequin par personne. Sinon, on doit réduire le groupe.

9h30

Le cours commence enfin. Le formateur commence par nous parler des brûlures. Il explique comment reconnaître les brûlures au premier, deuxième et troisième degré et quoi faire dans chaque cas. Un participant à l'arrière de la classe sursaute après ces brèves explications. Il se tourne vers sa femme: «Me semble que quand on voit une brûlure au troisième degré sur un enfant, on devrait appeler l'ambulance?»

Le monsieur a raison. En fait, sur des enfants, des brûlures au deuxième ou même au premier degré peuvent nécessiter une visite aux urgences!

9h45

Le formateur parle d'empoisonnement, du diabète, d'épilepsie, de convulsions dues à la fièvre et des saignements de nez. Il nous dit ensuite quoi faire si un enfant se fait une bosse au front. Le formateur explique qu'il faut mettre de la glace dans un tissu et l'appliquer sur la blessure 15 minutes. Il mentionne ensuite que mettre de la vanille, du beurre ou de l'huile peut aussi aider à prévenir le bleu, car les gras dilatent les capillaires et empêchent la formation d'ecchymose.

(Rires) Vous savez, ici à la Croix-Rouge, on n'embarque pas dans la cuisine. Parce qu'accepter une chose comme ça, ça ouvre la porte à d'autres «essais». Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de remèdes de grands-mères qui marchent. Mais avant de le mentionner en formation, une technique doit être approuvée par des comités médicaux sérieux.

10h10

On apprend à soulager un enfant qui a quelque chose dans l'oeil. Après une longue pause, on parle d'asthme, puis d'allergies. On fait circuler un faux EpiPen dans la salle et le formateur nous demande de nous entraîner sur nous pendant qu'il continue le cours.

Quand il y a de la pratique, elle doit être supervisée.

11h15

On apprend à faire un pansement pour un déboîtement de l'épaule, un pansement de compression, à soigner un crayon dans l'oeil, un crayon dans le bras, une coupure au pouce, une dent tombée.

Avez-vous reçu un manuel pour vous aider à récapituler toutes ces notions? (Nous répondons que oui. Le document fait 12 pages). Ah! Vous savez, notre livre fait 170 pages. Ça dit tout.

11h35

On poursuit en parlant d'hémorragie, d'entorse à la cheville et d'étouffement. Une participante affirme qu'appliquer du café sur une plaie, ça fonctionne. Le formateur finit par dire qu'il faut que le café soit «frais», c'est-à-dire que le sac vient d'être ouvert.

Inutile de commenter le café... Mais il faut savoir comment soigner les petites plaies des enfants. C'est ce qui arrive le plus souvent en garderie! Il faut nettoyer avec du savon et de l'eau quand c'est une petite plaie. Et il faut apprendre à savoir quand demander des points de suture ou non.

Pause de 12h à 13h

On reprend en apprenant comment réanimer un bébé (RCR). On s'entraîne un peu sur des mannequins. Mais le formateur a la tête ailleurs: il est en train de plastifier nos cartes d'attestation de formation.

Vous a-t-il montré à vérifier les signes de respiration et voir s'il y a hémorragie? À d'abord vérifier si l'environnement est sûr? À appeler de l'aide? C'est très important d'être très rigoureux quand on enseigne la RCR. Parce que dans le stress, ce sont les notions très pratiquées qui sont efficaces.

14h30

Notre formateur nous explique le fonctionnement d'un défibrillateur et le cours prend fin à 15h.

(Soupir) Le cours est déjà fini? Avez-vous parlé des engelures, des coups de chaleur, des commotions cérébrales, de la gestion de la fièvre, des échardes, de la gastro? C'est sûr qu'en huit heures, et même moins ici, on n'a pas le temps de faire le tour. Certaines provinces exigent des cours de 16 heures. Il y a place à amélioration, disons. On voit que le cours que vous avez suivi ne répond pas à la législation. Mais il n'y a aucun contrôle de ça, donc...

Le résumé de la journée présenté ici n'est pas exhaustif. Certains passages ont été omis pour alléger la lecture.