La photo de deux éducatrices en garderie portant le niqab, qui a été partagée - et commentée - des milliers de fois sur Facebook, a semé la consternation chez le personnel et les parents fréquentant la garderie de Verdun qui emploie les deux femmes.

«Ma femme est extrêmement troublée par tout ce qui se passe», nous a dit le propriétaire de la garderie en milieu familial, privée et non subventionnée. L'homme a décliné notre demande d'entrevue. Son épouse est l'une des éducatrices qui portent le niqab. Sur la photo, les deux femmes se promènent avec six enfants.

«Ma femme porte le niqab par choix. C'est une femme éduquée», plaide l'homme, qui ne nous a pas donné son nom.

Le propriétaire, d'origine palestinienne, dit avoir été non pratiquant pendant «la majeure partie de sa vie». Sa garderie offre un très bon service, fait-il valoir. Bonne nourriture, lieux spacieux, excellent ratio éducatrices-enfants.

La garderie accueille douze enfants dans deux logements distincts. Quatre éducatrices travaillent sur place, deux Québécoises non musulmanes et deux musulmanes. Les enfants sont de confessions et de nationalités différentes.Certains d'entre eux sont Québécois de souche.

Geneviève Latreille est la mère de l'un de ces petits Québécois. «On a choisi cette garderie parce que les éducatrices sont super. Les propriétaires sont super. Les éducatrices sont douces, patientes avec les enfants. Il y a beaucoup plus d'attention donnée aux enfants en comparaison d'autres endroits que j'ai vus, dit-elle. Tous les clients ne sont pas musulmans. Il n'y a aucune religion dans les activités.»

Les deux éducatrices portent leur niqab lorsqu'elles sortent à l'extérieur ou encore lorsqu'un père vient chercher son enfant. Elles ne serrent pas la main des hommes. Le reste du temps, elles sont à visage découvert avec les enfants, précise Mme Latreille.

Choqués par la photo

Les parents, mais aussi le propriétaire, sont surtout choqués que la photo, où on peut voir le visage des enfants de même qu'une adresse à Verdun, circule aussi largement sur l'internet.

«J'ai peur qu'un désaxé nous trouve et s'en prenne à nous», dit le propriétaire. «C'est contre la loi de partager des photos d'enfants sans le consentement des parents. C'est dégueulasse», dit Mme Latreille.

Un sentiment partagé par un autre parent, en entrevue à l'émission de l'animateur Benoît Dutrizac, qui a révélé l'existence de cette photo. «J'ai été vraiment choquée quand j'ai vu la photo. J'ai eu peur pour la sécurité de mon enfant», a déclaré la mère d'un enfant qui fréquente la garderie.

La personne qui a pris la photo s'appelle Élizabeth. Elle refuse également de dévoiler son nom de famille. De passage dans le quartier, elle a «croqué l'image sur le vif, à travers son pare-brise», raconte-t-elle.

Élizabeth n'est pas une militante de la laïcité, assure-t-elle. «C'est une image très parlante dans le contexte politique actuel. On l'a mise sur Facebook. Si j'avais su l'ampleur que ça prendrait, j'aurais flouté les visages.»

La photo a été partagée des milliers de fois sur Facebook et ensuite sur Twitter. Des dizaines de commentaires ont été rédigés par les internautes, dont plusieurs disaient avoir été choqués par le niqab porté par les éducatrices.

Pas interdit par la Charte

En entrevue à Dutrizac, à midi, le ministre Bernard Drainville s'est d'abord félicité que la Charte rende ce genre de choses impossibles. «Les garderies subventionnées, privées et en milieu familial sont toutes couvertes par la Charte.»

En après-midi, il a dû faire marche arrière. Le projet de charte n'interdit pas les signes religieux dans les garderies non subventionnées, a-t-il convenu. Du moins «pour le moment», a indiqué sa collègue de la Famille, Nicole Léger.

En vertu du projet de loi 60, l'interdiction du port de signes religieux ostentatoires ne vise que les centres de la petite enfance et les garderies privées subventionnées - donc à 7$ par jour. Les responsables de services de garde en milieu familial subventionnés pourraient cependant porter de tels signes, à condition d'avoir le visage découvert. Le niqab serait ainsi interdit dans tous les services de garde subventionnés.

«Tout ce qu'on peut faire, c'est demander aux propriétaires de ces garderies de demander à leurs éducatrices d'avoir le visage à découvert, a dit Bernard Drainville. Ce n'est pas le modèle d'éducatrice qu'on veut pour nos enfants au Québec. C'est normal que les enfants voient le visage des personnes qui s'occupent d'eux.»

Pourrait-on inclure ces garderies dans la Charte? «On n'en est pas là», a répondu M. Drainville. Mais Nicole Léger n'exclut pas cette idée. «C'est sûr que ça va faire partie des discussions en commission parlementaire. Est-ce que des gens vont venir vouloir s'exprimer et dire que peut-être il faudrait l'étendre jusque-là? Mais ce n'est pas notre intention pour le moment», a-t-elle soutenu.

PRÉCISION

Nous faisions état mercredi d'une entrevue accordée par le ministre Bernard Drainville à l'émission Dutrizac, où l'animateur a demandé au ministre de réagir à la photo d'éducatrices en garderies qui portent le niqab. En début d'entrevue, le ministre semble effectivement laisser entendre que la charte couvrirait des cas comme celui de Verdun. Voici le verbatim de ses propos.

«C'est choquant. C'est inquiétant. Ça n'est pas acceptable. Et c'est pour ça qu'il faut voter la charte. Parce que la charte qu'on propose vise justement à empêcher ça. La charte, elle interdit le visage couvert et ces deux éducatrices sur la photo ont le visage couvert. Elles portent le niqab. Le jour où on va la voter, la charte va empêcher ça dans les CPE, dans les garderies privées subventionnées et aussi dans les garderies en milieu familial. Dans la charte, les garderies en milieu familial sont couvertes pour ce qui est du niqab. Ce serait impossible dans les garderies en milieu familial. Ce n'est pas le modèle d'éducatrice qu'on veut pour nos enfants.» 

Cependant, plus tard dans l'entrevue, le ministre apporte la précision suivante : «Si c'est une garderie privée non subventionnée, effectivement, ils peuvent gérer leurs affaires comme ils veulent.» Pour transmettre adéquatement la pensée de M. Drainville, nous aurions dû également faire état de cette dernière citation. Nos excuses.