Les profs qui enseignent en milieu multiethnique à Montréal sont confrontés régulièrement à des demandes d'accommodement raisonnable qui constituent «un très lourd fardeau», estime Sylvain Mallette, président de la Fédération autonome de l'enseignement (FAE), qui regroupe 32 000 enseignants du primaire et du secondaire.

M. Mallette salue donc l'initiative du gouvernement de déposer une charte des valeurs québécoises, qui posera une série de balises très attendues dans les écoles, dit-il.

«On a besoin de règles. En milieu montréalais, parfois, les enseignants sentent de la pression. Et il arrive qu'on accepte un peu n'importe quoi, précisément parce qu'on n'a pas de règles», dit-il, à l'issue d'une consultation qui s'est étendue sur deux ans et à laquelle ont participé 4000 enseignants.

Cette consultation a permis de faire état des difficultés que les enseignants rencontrent dans leur pratique quotidienne. Plusieurs cas de demandes d'accommodement jugées déraisonnables ont été relatés par les enseignants lors de ces consultations.

Un prof masculin, qui travaille à la faculté d'éducation permanente d'une commission scolaire de Montréal, a notamment raconté s'être fait interdire l'accès à un poste, en contravention avec la règle de l'ancienneté qui a toujours été la norme pour l'attribution des emplois.

«Il y avait une étudiante dans le groupe dont le mari ne voulait pas qu'un homme enseigne à sa femme, raconte M. Mallette. La commission scolaire lui a dit: "Si on te donne le poste, ça va créer un problème."»

Après discussion, le prof a pu intégrer le poste. Et l'étudiante est restée dans la classe.

Cette situation constitue-t-elle une exception? «Ça s'est produit assez souvent pour qu'il y ait des discussions formelles sur la question entre la commission scolaire et le syndicat local. C'est gros! Cela remet en question le principe de l'égalité hommes-femmes», poursuit M. Mallette.

Pas de congés religieux supplémentaires

À l'issue de cette consultation, qui a été soumise au congrès des membres en juin dernier, la FAE a adopté une «position claire» sur la laïcité. Elle sera dévoilée très bientôt, promet M. Mallette.

Une chose est sûre, sur la délicate question des congés religieux, la FAE a fait son lit: la pratique religieuse ne doit pas conduire à des droits supplémentaires pour certains membres. Accorder des congés religieux de plus aux enseignants qui pratiquent d'autres religions est donc à proscrire, croit-il.

Sylvain Mallette promet que la question des signes religieux ostentatoires est aussi abordée de front dans cette position de principe de la centrale syndicale.

«Mais plutôt que de mettre l'emphase sur une croix ou un foulard, il faut avoir une vision d'ensemble. À ceux qui veulent importer un modèle de laïcité imposé ailleurs, je dis: il faut créer un modèle québécois de laïcité.»

Il espère d'ailleurs que la charte du gouvernement de Pauline Marois ne se bornera pas à aborder la question des signes religieux. «Jusqu'à maintenant, tout est centré là-dessus», déplore-t-il.

Peu de problèmes en milieu de travail

Cinq ans après la commission Bouchard-Taylor, et même en l'absence de balises en provenance de Québec, les entreprises québécoises ont assez bien appris à composer avec les demandes d'accommodement raisonnable en provenance de leurs employés, estime un avocat spécialiste en droit du travail.

Dans sa pratique, François Longpré a vu diminuer progressivement le nombre de cas litigieux d'accommodements de nature religieuse. «On a eu tellement de discussions là-dessus que les gens ont développé des pratiques. Le directeur des ressources humaines moyen, il a trouvé des solutions à la plupart de ces questions», estime Me Longpré, de la firme Borden Ladner Gervais. «Les gens ont développé le réflexe de vérifier les fondements de ce qu'on leur dit», dit l'avocat. Il donne l'exemple de cet employé de dépanneur qui refusait, sous prétexte qu'il était musulman, de manipuler des caisses d'alcool. «Il y a quelques années, ça aurait pu dégénérer. Mais là, on l'a tout de suite challengé. On lui a dit: "Tu es sûr de ça? Va voir ton imam et pose-lui la question." Et l'imam a bien confirmé que oui, il pouvait manipuler et vendre de l'alcool.» Même scénario avec cet employé d'un service de restauration rapide, qui désirait prier... à l'heure du lunch. «On lui a dit: "Demandez à votre imam si 11 h, ça irait." Donc, à 11h, il prend sa pause, il prend son tapis, va dans le backstore et il prie pendant 10 minutes. Et il est de retour pour l'heure du lunch.» Que pense un spécialiste en droit du travail de cette future charte des valeurs québécoises? «Ça va mettre beaucoup d'argent dans les poches des avocats parce que ça va créer des litiges qui n'existaient pas», croit-il.