La commission scolaire des Patriotes pensait avoir tous les arguments nécessaires pour fermer l'école de la Roselière, une école publique située à Chambly, dont la pédagogie Waldorf est controversée. Elle s'attendait à provoquer la déception chez les parents des 150 élèves, mais pas à soulever un tollé et à se mettre à dos tout le mouvement Waldorf mondial.

Des élèves qui ne savent pas lire en première année, trop peu de français et de mathématiques, des lacunes dans l'apprentissage, absence d'ordinateurs et présence d'éléments religieux dans une école non confessionnelle.

Le rapport commandé par la commission scolaire des Patriotes (CSP), qui a mené à la décision de fermer l'école de la Roselière, est aussi dévastateur que controversé.

Les enseignants et les parents critiquent la méthode et la rigueur du rapport produit par la consultante indépendante, Yolande Nantel. Ils multiplient les interventions publiques et recueillent des appuis pour dénoncer ce qu'ils considèrent comme une «campagne de salissage». Ils ont répondu avec deux rapports pour «rectifier les faits».

Mais le rapport Nantel, qui recoupe des observations faites en classe, des résultats et le contenu des cours, vient confirmer des années de doutes et de questionnement.

Depuis l'ouverture de l'école, il y a 16 ans, la commission scolaire soupçonne que l'enseignement prévu dans le programme québécois n'est pas respecté, au profit de la pédagogie Waldorf. «Nous avons plusieurs sonnettes d'alarme», affirme le directeur général, Joseph Atalla.

Des directeurs d'écoles secondaires se plaignent que certains élèves qui arrivent de l'école de la Roselière présentent «de grands retards» et ont besoin de «mesures d'appui», explique M. Atalla.

Une quarantaine de directeurs ont d'ailleurs soutenu publiquement la décision de la commission scolaire de fermer l'école.

Des correspondances entre la commission scolaire et le conseil d'établissement de l'école, des documents ministériels et des rapports produits au fil des ans témoignent de ces préoccupations, a constaté La Presse.

Travaux manuels et «eurythmie»

La pédagogie Waldorf est basée sur l'art et le mouvement. Les élèves doivent «sentir» les choses pour les assimiler.

«Quand je fais du modelage, c'est un décloisonnement de matière, explique ainsi une enseignante de l'école. Je ne fais pas juste du modelage, je fais du français.»

Lors de notre visite, les enfants apprenaient les déterminants. Ils devaient modeler un objet qui reflète le genre et le nombre. Une fillette façonnait délicatement deux souris pour refléter le déterminant «tes». Les enfants utilisent de la cire d'abeille, plus dure que la pâte à modeler, ce qui développe aussi leur «persévérance».

Plus tard, les élèves écriront ce qu'ils en retiennent dans leurs cahiers, qu'ils ont fabriqués eux-mêmes et qu'ils agrémentent de dessins. La pédagogie Waldorf utilise très peu les manuels et cahiers d'exercices traditionnels.

Chez les plus jeunes, l'enseignement est d'abord oral, avec les récits de contes remplis de fées et de gnomes ainsi que des légendes sur l'Ancien Testament ou la mythologie grecque. La lecture de façon «autonome» vient plus tard, vers la troisième année.

Le matin, les élèves ont une «leçon principale». Sur une période de deux à quatre semaines, leur enseignant les fait approfondir une notion de français, de mathématiques ou de sciences de façon intensive.

L'après-midi est consacré à des cours d'anglais, de travaux manuels ou d'arts. Les élèves font de la broderie, du tricot, fabriquent des poupées et jouent de la flûte. Ils apprennent de façon «globale» puisque ces cours leur permettent d'intégrer des notions académiques.

Les élèves pratiquent aussi «l'eurythmie». Lors de notre passage, les jeunes de première année, chaussons blancs aux pieds, dansaient en suivant le rythme et les mouvements de leur enseignante.

«L'eurythmie» se veut un mouvement harmonieux qui allie la gestuelle au rythme. Les formes et les lignes que créent les enfants en bougeant les préparent à l'apprentissage de l'écriture, nous a expliqué l'enseignante.

Climat tendu

Depuis la décision de fermer l'école, le climat est tendu. Les enseignants ont le sentiment d'être incompris par la direction. «Ça ne les intéresse pas de savoir comment on intègre la pédagogie Waldorf, ni ce que c'est», lance une enseignante.

Il ne s'agit pas de porter un jugement sur la pédagogie Wardolf, insiste Joseph Atalla. «De grands pans de certaines matières obligatoires ne sont pas enseignés.»

Silencieux, loin du débat public, certains parents se disent soulagés de la décision de la commission scolaire.

Le père d'un jeune qui a quitté l'école de la Roselière en deuxième année garde un souvenir amer de l'établissement. D'abord séduit par l'approche axée sur les arts, il a déchanté quand son fils a changé d'école et a perdu une année scolaire en raison de son retard académique.

«Ça ne devrait pas être permis que les enfants n'apprennent pas à lire et à écrire en première année», dit-il, en requérant l'anonymat, par crainte de représailles.

Tous les soirs, la mère d'un garçon de quatrième année travaille plus de deux heures avec lui pour l'aider à combler ses lacunes académiques.

«C'est une vraie joke, cette école-là», lance-t-elle, excédée. Elle ne voit ni devoirs ni évaluations. «Je ne comprends pas d'où viennent les notes sur son bulletin.»

«Le tricot et les fêtes prennent trop de place», ajoute-t-elle en faisant écho au rapport Nantel.

Les défenseurs de l'école de la Roselière tiennent un autre discours. L'enseignement respecte le rythme des élèves. Ces derniers sont heureux et motivés.

Les réalisations de chacun sont valorisées. «Ce n'est pas juste la tête qui est mise en valeur», explique la présidente de la Corporation des parents, Annie Fortin, dont les deux enfants sont passés par la Roselière.

Son aîné, Ashley Rastel, a terminé en juin ses études au collège Jean-Eudes. «Mes années à l'école de la Roselière m'ont encouragé à être unique», dit-il. Au secondaire, il affirme qu'il n'avait pas de retard et qu'il avait même une meilleure capacité de synthèse que ses camarades.

Même si la pédagogie Waldorf est critique face aux technologies, le jeune homme rêve de devenir créateur de jeux vidéo depuis sa tendre enfance. Il croit que le fait d'avoir été limité, petit, dans l'usage de la télévision, de l'ordinateur et des jeux vidéo lui a permis de développer davantage son imagination.

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L'école de la Roselière doit perdre sa vocation particulière à la fin de l'année scolaire. La pédagogie Waldorf devra être remplacée par le programme ordinaire l'an prochain. L'école pourrait fermer définitivement en juin 2014.