Dans un quartier comme Centre-Sud, il n'est pas rare qu'un élève abandonne l'école dès la première année du secondaire pour travailler au Tim Hortons du coin.

Des adolescents travaillent pour aider leur famille à joindre les deux bouts. D'autres veulent vivre leur vie. Ils suivent très tôt les traces d'un oncle qui n'a jamais eu de diplôme mais qui a toujours trouvé du travail.

Dans plusieurs écoles des quartiers défavorisés, comme à l'école primaire Champlain, on ne parle pas seulement de lutte contre le décrochage. Le véritable enjeu, c'est de prévenir le décrochage précoce.

Le conteur Fred Pellerin l'ignore sans doute, mais lui-même est mis à contribution dans cette lutte.

Dans sa classe de 6e année, l'enseignante Myriam St-Pierre a imaginé un grand projet inspiré de l'oeuvre du célèbre conteur. Elle veut amener ses élèves à découvrir l'histoire de leur quartier pour qu'ils acquièrent un sentiment d'appartenance, comme Fred Pellerin l'a fait avec Saint-Élie-de-Caxton, dans un mélange de poésie et d'imagination.

Avec Michel Corbeil, l'animateur de la vie spirituelle et communautaire, les élèves travaillent aussi des valeurs comme la générosité et l'entraide, bien présentes dans l'oeuvre de l'artiste.

Tout en intégrant au passage les notions de mathématiques ou de français prévues au programme, Mme St-Pierre cherche surtout, avec son projet, à allumer la petite étincelle qui fera en sorte que ses élèves aiment l'école.

Elle ajoute souvent une touche de plaisir aux matières qu'elle enseigne. En ce petit matin gris, elle distribue des bonbons à l'érable, petite gâterie pour lancer l'atelier d'écriture. Le cours de français n'est pas le préféré des enfants.

«Laissez-vous inspirer par le bonbon. Ne vous souciez pas de l'orthographe pour le moment. Je veux seulement que vous écriviez ce qui vous passe par la tête», dit Mme St-Pierre tandis qu'un sourire éclaire les visages.

Dans les textes qu'ils liront ensuite à voix haute devant le groupe, plusieurs élèves évoqueront des souvenirs de cabane à sucre, avec la tire sur la neige et les oeufs dans le sirop.

Timidement, Paola lit le sien devant la classe. Elle transporte ses camarades dans un monde imaginaire où les bonbons deviennent des manèges et des montagnes russes. Elle se rassoit, rayonnante, sous une pluie d'applaudissements.

Dès qu'elle en a l'occasion, Myriam St-Pierre rappelle à ses élèves l'importance de la lecture et de l'écriture pour la suite de leurs études.

«Dans un quartier comme le nôtre, les élèves ne lisent généralement pas beaucoup», dit-elle. La fin de semaine, certains passent leur temps à jouer à des jeux vidéo et à traîner avec leurs amis. Ils se couchent tard. Ils n'ont pas d'horaire. Ils arrivent fatigués le lundi matin.

Le décrochage est un problème que le personnel de l'école Champlain garde toujours en tête. «J'essaie de dire aux élèves qu'étudier va leur donner la liberté de choisir plus tard», explique la psychoéducatrice de l'école, Élisabeth Bellefleur-Gauthier.

Mère de trois grands enfants, Julie Marisseau est bien d'accord: elle est tombée enceinte de son aîné lorsqu'elle était en 4e secondaire. Elle n'a jamais obtenu son diplôme.

Aujourd'hui, elle répète inlassablement à ses enfants qu'étudier leur permettra d'avoir un meilleur travail. «Ma mission est de les mener au moins jusqu'en 5e secondaire. Après, ils pourront voler de leurs propres ailes», dit-elle.

Son aîné termine son secondaire à l'école Pierre-Dupuy. Elle en ressent une grande fierté. La cadette est en 2e secondaire tandis que la plus jeune termine sa 6e année à l'école Champlain.

Mme Marisseau est pour sa part retournée aux études et terminera dans les prochaines semaines un cours de secrétariat. «Elle nous inspire. On s'entraide beaucoup tous ensemble», souligne fièrement sa benjamine, Alexandra Shaw-Marisseau.

Valoriser l'école

En matière de persévérance scolaire, la valeur que les parents accordent à l'école est très importante pour le cheminement de leurs enfants.

«Il y a des parents qui ont une certaine méfiance à l'égard de l'école parce qu'ils ont vécu des situations difficiles eux-mêmes quand ils étaient petits et ils ont du mal à faire confiance», explique la directrice de l'école Champlain, Julie Simard.

Pour changer cette opinion, les enseignants et l'ensemble du personnel ne s'occupent pas seulement des élèves. Ils apprivoisent aussi les parents.

Ils se rendent disponibles pour les recevoir. Ils les informent de ce qui se passe. Ils leur montrent que l'école est dynamique.

Dès le primaire, le taux d'absentéisme à l'école est élevé. Quand il pleut, quand il neige, plusieurs enfants ne se présentent pas en classe. Personne n'est en mesure d'expliquer pourquoi. En maternelle, un élève a déjà manqué 70 jours de classe dans une année. C'est énorme.

Difficile aussi de faire participer les parents aux réunions et aux activités. Il y a la barrière de la langue. Les parents ne sont pas toujours en mesure de décoder les messages que les enseignants laissent dans l'agenda de leurs enfants. Quant au téléphone, il arrive qu'il soit débranché, faute d'argent.

Vers la fin du primaire, la transition vers le secondaire devient une source de préoccupation constante. C'est à ce moment que l'intérêt des élèves peut diminuer et que l'école risque d'en perdre quelques-uns.

Le quartier Centre-Sud peut compter sur une intervenante communautaire scolaire qui visite les écoles primaires du quartier pour créer des ponts entre l'école et le milieu, mettre sur pied des projets et stimuler l'intérêt des enfants.

Tous les intervenants doivent se parler et travailler dans la même direction, souligne cette intervenante, Laurence Tessier-Dansereau. «Les messages répressifs et réducteurs ne servent à rien. Quand le jeune ne va pas bien et qu'on lui donne trois retenues, ça ne sert à rien, on le perd.»

Préoccupée par le décrochage élevé dans Centre-Sud, la Commission scolaire de Montréal (CSDM) cherche aussi des solutions. Elle épaule notamment le Centre de ressources éducatives et pédagogiques, un groupe communautaire qui organise des ateliers de rencontres pour les parents. L'objectif est de prévenir le décrochage et de stopper le cercle vicieux de la pauvreté.

La CSDM a aussi réuni les cinq écoles primaires du quartier et l'école secondaire Pierre-Dupuy pour créer un véritable campus.

Chaque école choisit un créneau que les élèves peuvent retrouver à l'école secondaire, de façon à créer un sentiment d'appartenance et une continuité entre le primaire et le secondaire. À Champlain, c'est la musique.

Chaque année, la rentrée scolaire donne lieu à une grande fête dans le quartier. Au rythme des tambours et de la musique, les élèves des écoles du campus accompagnent les grands de 6e année qui font leur entrée au secondaire à Pierre-Dupuy, un événement très attendu par ces derniers.

2007-2008

82,6%

2008-2009

65,1%

2009-2010

52,2%

Source: ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport