Le conflit étudiant s'enlise et s'aggrave en certains endroits, alors que les enseignants se rebiffent face à la situation dans laquelle le gouvernement tente de les placer et que les forces policières interviennent d'une manière de plus en plus musclée lors des manifestations étudiantes.

La Fédération qui regroupe les syndicats de professeurs d'université s'oppose désormais à un retour forcé en classe et dénonce la judiciarisation du conflit, estimant qu'elle a créé un climat de peur dans lequel il est impossible d'offrir des cours dans une atmosphère sécuritaire et sereine et de respecter les exigences pédagogiques requises.

En conférence de presse, jeudi à Montréal, le président de la Fédération québécoise des professeurs d'université (FQPPU), Max Roy, a parlé d'une situation intenable pour ses membres.

«L'obligation d'enseigner, dans les circonstances, favorise la discrimination entre les étudiants. Elle place les professeurs dans une position intenable de devoir arbitrer des conflits d'opinions et de défier les décisions prises démocratiquement par les associations étudiantes dûment constituées. De plus, la situation nécessitera de dédoubler les tâches d'enseignement une fois terminées les grèves étudiantes et au moment de la reprise générale des cours», a-t-il fait valoir.

M. Roy a également dénoncé avec vigueur le fait que des professeurs aient été intimidés par des agents de sécurité et des policiers, et que certains de ses membres aient été appréhendés de manière «injustifiée».

«On porte ainsi atteinte aux libertés civiles, dont la liberté d'expression, a poursuivi M. Roy. Un climat de peur s'installe sur les campus universitaires, ce qui était inimaginable et qui est absolument

inacceptable.»

Pendant ce temps, le comité de coordination de «Profs contre la hausse» a décidé d'utiliser l'ironie pour dénoncer les arrestations d'enseignants, la présence policière dans les institutions et l'intimidation exercée par des agents de sécurité. Certains d'entre eux devaient se livrer aux policiers «de façon préventive», jeudi après-midi, au quartier général de la police à Montréal.

Dans un communiqué, les porte-parole du mouvement déclarent que «si des injonctions devaient s'imposer également dans nos institutions, nous refuserions d'obtempérer, désobéissant ainsi à la loi. C'est pourquoi, par souci d'économie d'essence et de travail, nous vous demandons de nous arrêter immédiatement».

Accusations criminelles

Sur le terrain, pendant ce temps, les actions étudiantes se sont poursuivies, jeudi.

L'Université du Québec en Outaouais (UQO) a de nouveau été le théâtre de confrontations violentes, et la direction a annoncé après dîner que les cours étaient annulés pour la journée dans les pavillons Alexandre-Taché et Lucien-Brault.

Trois autobus en provenance de Montréal avaient plus tôt emmené des étudiants venus appuyer leurs collègues de Gatineau. Les manifestants ont réussi à pénétrer à des moments différents dans les pavillons, malgré une importante présence policière et en contravention d'une injonction du tribunal.

Les policiers ont utilisé des gaz irritants pour les faire reculer à un certain moment, mais les jeunes sont revenus à la charge. Durant les affrontements, au moins quatre étudiants ont été blessés à la tête à coups de matraque.

Les étudiants qui sont entrés se seraient livrés à des actes de vandalisme dans l'institution, «des dommages considérables» selon la police. Les policiers ont procédé à l'arrestation d'environ 150 d'entre eux et des accusations criminelles de méfait, pour occupation illégale des lieux, seront portées contre la majorité d'entre eux. Il s'agit d'accusations beaucoup plus graves que les constats d'infraction à des règlements municipaux signifiés jusqu'ici et qui pourraient déboucher sur un casier judiciaire.

Cela porte à plus de 300 le nombre d'arrestations en deux jours.

La police de Gatineau a précisé en fin de journée que les étudiants arrêtés jeudi ont été libérés sous promesse de comparaître. Ils se sont de plus vu imposer certaines conditions, notamment l'interdiction de se rendre aux pavillons Lucien-Brault et Alexandre-Taché de l'UQO ou de se trouver à moins de 500 mètres de ces endroits, sauf pour assister à des cours.

Plusieurs étudiants ont nié les actes de vandalisme et soutenu qu'ils n'avaient fait qu'utiliser du mobilier pour empêcher les policiers de les atteindre.

En fin d'après-midi, le recteur de l'UQO, Jean Vaillancourt, visiblement déconcerté par la tournure des événements, a annoncé que l'institution demeurerait fermée toute la journée et la soirée de vendredi.

«Le personnel et les étudiants de l'UQO ont besoin d'une pause. Ils ont besoin d'un moment pour pouvoir assurer une atmosphère de travail paisible et des circonstances, un environnement de formation propices à l'apprentissage et, à ce stade-ci, il est impossible pour moi de vous assurer de la sécurité des gens demain (vendredi)», a-t-il dit.

Il a soutenu que les méfaits avaient été l'oeuvre de personnes qui n'étaient pas des étudiants de l'institution et qui avaient réussi à semer la pagaille malgré les mesures déployées pour assurer la tenue des cours, comme l'ordonnait une injonction de la Cour supérieure.

Les étudiants et des professeurs de l'UQO - encore présents lors des manifestations pour soutenir et protéger leurs étudiants - n'en revenaient pas de l'importance des forces policières présentes aux abords de l'université et ont dénoncé leurs interventions.

«Je me sens comme dans une dictature», a lancé Laurent Paradis-Charette, un étudiant, montrant du doigt l'escouade antiémeute qui bloquait les accès du pavillon Lucien-Brault.

De son côté, l'Université de Sherbrooke, qui prévoyait reprendre les cours dans toutes les facultés touchées par un boycott à compter de midi, jeudi, comme le lui ordonnait une injonction émise la veille par la Cour supérieure, a renoncé à le faire.

Ainsi, le boycott demeure en vigueur pour les facultés des lettres et sciences humaines, d'éducation, des sciences, et d'éducation physique et sportive, qui regroupent quelque 6000 des 17 500 étudiants de l'institution.

Bien que de nombreux étudiants aient manifesté aux abords du campus, ils sont demeurés à l'extérieur des terrains de l'université, l'injonction émise par le juge Gaétan Dumas interdisant toute présence à moins de 25 mètres des entrées du territoire universitaire.

À Québec, la tentative d'une enseignante en philosophie du cégep de Limoilou de donner un cours dans la rue s'est transformée en manifestation désordonnée à laquelle les policiers ont aussitôt mis un terme sans ménagement. Le tout s'est soldé par quelques dizaines d'arrestations.

Montréal n'a pas été épargnée alors qu'un affrontement entre policiers et manifestants s'identifiant au mouvement étudiant a éclaté vers 8 h 30, jeudi matin, au centre-ville. Une bousculade s'est produite, des gaz irritants et un engin fumigène ont été lancés par les policiers, forçant les étudiants à se déplacer. Deux personnes ont été arrêtées.

Les étudiants, dont plusieurs étaient masqués et vêtus de noir, s'étaient d'abord dressés devant l'entrée d'une succursale bancaire. Ils ont quitté le secteur après les affrontements. Un autre groupe s'est manifesté en après-midi en s'allongeant dans la rue à l'angle de deux artères très achalandées du Vieux-Montréal.