Les centres de la petite enfance (CPE) et les garderies privées subventionnées risquent de débourser inutilement des milliers de dollars dans le cadre de l'appel d'offres en cours pour l'attribution de 15 000 nouvelles places à 7$.

Le ministère de la Famille refuse en effet de préciser où sont les besoins et en quelle année les places seront créées. Le plan prévoit que l'attribution de nouvelles places s'échelonnera jusqu'en 2016.

«On risque de faire travailler des CPE alors qu'ils n'ont aucune chance, parce que leur territoire n'est pas identifié par le Ministère comme ayant des besoins», dénonce une gestionnaire qui souhaite garder l'anonymat pour ne pas compromettre l'approbation des projets en cours.

Le Ministère a pourtant en main une analyse détaillée des besoins partout au Québec.

Mais la documentation fournie aux services de garde dans le cadre des appels d'offres précise seulement le nombre total de nouvelles places par région. Elle indique aussi que 1500 places sont destinées aux enfants de milieux défavorisés.

À Montréal, le Ministère annonce ainsi la création de 1990 nouvelles places d'ici à 2016. Mais «le Ministère fait travailler les CPE en aveugle», déplore la gestionnaire. «Ils dépensent de l'énergie et de l'argent pour rien.»

«À la grandeur du Québec, c'est quelques centaines de milliers de dollars qui risquent d'être dépensés. C'est beaucoup d'argent», renchérit un directeur de CPE qui prépare un projet dans l'est de Montréal.

Dossiers complexes

Les projets déposés doivent être les plus complets possible. Le Ministère s'attend même à avoir une copie du bail, des titres de propriété, de l'offre d'achat ou toute autre preuve des démarches entreprises.

Mais il est difficile de trouver un promoteur qui accepte de réserver un terrain pendant plusieurs mois sans savoir s'il le vendra au bout du compte, font valoir les personnes interrogées.

Des places allouées en 2008 ont d'ailleurs été réattribuées récemment, justement parce que des terrains n'étaient plus disponibles au moment où les services de garde ont finalement obtenu le feu vert du Ministère.

Il faut aussi vérifier si les terrains sont contaminés, ce qui entraîne d'autres dépenses.

«Si je savais que le Ministère envisageait la création de mon projet seulement dans trois ans, je n'aurais pas déboursé pour une analyse de sol», raconte ainsi un directeur de CPE qui s'attend à payer quelques milliers de dollars pour préparer son projet.

Dans la métropole, les promoteurs flairent la bonne affaire. Les bons terrains se font rares et les prix ont flambé.

Le Ministère alloue environ 700 000$ aux CPE, selon le nombre de places, pour l'achat et la construction d'une installation. Ce n'est pas suffisant.

«Pour un CPE de 80 enfants, il manque en moyenne de 100 000 à 300 000$», indique le directeur interrogé.

Une autre gestionnaire, directrice de deux CPE à Montréal, renchérit. «Les subventions accordées ne sont pas à la hauteur de ce qui est demandé sur le marché. Je refuse de développer n'importe où. Nous voulons un CPE de qualité», explique la femme à qui un promoteur réclamait 1,3 million pour un terrain contaminé dans l'est de Montréal.

Forte concurrence

La problématique actuelle, combinée au manque de places, crée une concurrence féroce dans le réseau des services de garde.

Depuis 2008, de nombreuses garderies privées non subventionnées ont vu le jour, offrant maintenant près de 25 000 places dans le réseau des services de garde au Québec.

Plusieurs espéraient obtenir des places à contribution réduite. Des fonctionnaires avaient d'ailleurs fait miroiter à des propriétaires que s'ils investissaient suffisamment dans leurs installations, ils seraient en bonne position au prochain appel d'offres pour des places à 7$, affirme Prescillia B. Boily, porte-parole de la Coalition des garderies privées non subventionnées du Québec et propriétaire de la garderie Les petits moulins, à Terrebonne.

Mais les garderies privées non subventionnées sont exclues du processus, a annoncé la ministre Yolande James. Elles craignent maintenant que des CPE ou des garderies subventionnées s'installent tout près. La moitié d'entre elles risquent d'ailleurs de fermer d'ici un an.

Certains CPE ont d'ailleurs tenté d'acheter des garderies privées non subventionnées. «Certaines sont de qualité. Nous allons essayer d'en acheter une au lieu de créer un nouveau projet, mais ça n'a pas fonctionné», raconte une directrice de CPE de l'est de Montréal.

Tous ces problèmes risquent de ternir l'image du réseau des services de garde, s'inquiète Pierre Fortin, économiste à l'UQAM.

«C'est un programme qui fonctionne très bien, dont les objectifs sont parfaitement adéquats, mais qui a évidemment des douleurs de croissance.»

Il cible notamment le manque de places, la qualité, la création de nouvelles places et la gestion des listes d'attente comme principaux problèmes.

En revanche, c'est un réseau rentable pour les gouvernements, fait-il valoir. Pour chaque dollar investi, les gouvernements en récupèrent 1,50$.