L'intimidation à l'école cause des dommages au cerveau. Cette découverte est d'autant plus percutante que l'internet semble accentuer ces ravages. Écoles, experts et policiers font le point sur un phénomène qui les inquiète de plus en plus.

Le cerveau des jeunes sans cesse tourmentés par leurs camarades de classe fonctionne moins bien: leur mémoire est atteinte, et ils ont plus de mal à traiter certaines données.

C'est ce que révèlent les recherches de Tracy Vaillancourt, psychologue à l'Université d'Ottawa et membre de la Chaire de recherche du Canada en santé mentale des enfants et en prévention de la violence.

«Pour un enfant, être intimidé à l'école est aussi dommageable qu'être battu par ses parents, estime Mme Vaillancourt. Il faut sensibiliser les pédiatres et je souhaite contribuer à le faire.»

Invitée comme conférencière à l'Hôpital de Montréal pour enfants il y deux semaines, la chercheuse a pressé la Société canadienne de pédiatrie d'investiguer pour découvrir quelle proportion des jeunes patients est touchée.

«Avec ce qu'on sait aujourd'hui, on ne peut plus voir l'intimidation comme un rite de passage qui forge le caractère. Il faut exercer des pressions pour l'éradiquer», plaide-t-elle en entrevue. Comment les dommages surviennent-ils? «L'enfant intimidé déprime. Cela dérègle son taux de cortisol (l'hormone du stress) et ce dérèglement perturbe sa mémoire, entre autres choses», résume Mme Vaillancourt.

Pendant 5 ans, elle a suivi 70 adolescents victimes d'intimidation pour mesurer leur taux de cortisol et tester leur mémoire ainsi que certaines de leurs capacités cognitives. Premier constat: le taux de cortisol des garçons était anormalement élevé (signe d'un stress intense) tandis que celui des filles était anormalement bas (signe d'un système carrément sursaturé). Deuxième constat: ces élèves étaient moins performants.

S'ils éprouvent des difficultés scolaires, ce n'est pas seulement parce qu'ils fuient l'école ou qu'ils ont la tête ailleurs: leur cerveau est atteint, conclut Mme Vaillancourt.

Les dommages sont-ils imprimés pour de bon, comme chez les enfants battus? Pour le savoir, la chercheuse souhaite faire passer des IRM à ses sujets les plus atteints. Elle s'attend à découvrir que leur hippocampe, qui joue un rôle dans la mémoire, est abîmé.

Aux États-Unis, le chercheur en neurologie Martin Teicher a récemment utilisé l'IRM pour démontrer que l'intimidation endommage les neurones du corps calleux, une zone centrale du cerveau. «Puisqu'une image vaut 1000 mots, ce genre de preuve devrait aider à faire bouger les choses, espère Mme Vaillancourt. Il y a quelques années, voir le cerveau atrophié d'un enfant victime de négligence a secoué les autorités, qui ont débloqué des fonds pour mieux les protéger.»

Internet et choc post-traumatique

En attendant, plusieurs élèves vivent des situations atroces, a constaté Mme Vaillancourt au cours de ses recherches. L'une des adolescentes qu'elle suivait a par exemple vu ses camarades uriner sur ses vêtements dans le vestiaire du gymnase.

«Chaque fois qu'on revoit son agresseur, on a une réaction de peur, précise la chercheuse. Un peu comme chez les victimes de stress post-traumatique, il y a une possibilité perpétuelle que l'intimidation recommence pour la victime. Cela reste réel.»

Quand l'intimidation survient sur l'internet, ses ravages sont particulièrement dévastateurs, note de son côté Maureen Baron, responsable du dossier cyberintimidation à la commission scolaire English-Montreal. «Dans un tel cas, les victimes n'ont pas de refuge, a-t-elle exposé lors de sa conférence à l'Hôpital de Montréal pour enfants. L'intimidation survient jour et nuit, peu importe où elles se trouvent. Et puisque l'agresseur se cache, elles ne savent plus à qui faire confiance dans leur entourage.» Autre particularité: avec leurs 225 amis virtuels chacun, les jeunes sont capables de propager leur fiel à la vitesse de l'éclair. «L'image ou les mots envoyés sont susceptibles de réapparaître sans cesse. Ils sont là pour toujours», rappelle Mme Baron. Les parents ont peur que leur enfant se tue ou tue quelqu'un en voiture, dit-elle, «mais quant à moi, les jeunes ont autant besoin de mises en garde avant d'avoir accès à un ordinateur ou à un téléphone cellulaire».

«Des enfants se suicident d'un bout à l'autre du pays à cause de l'intimidation», renchérit Mme Vaillancourt. Pourquoi? Parce que les humains ont un besoin d'appartenance fondamental et biologique, répond-elle. À l'origine, la protection du groupe était essentielle à notre survie, et entretenir des relations demeure essentiel pour se développer pleinement.

Paradoxalement, c'est aussi ce besoin d'appartenance qui pousse parfois les jeunes victimes à se taire. «Les adolescents ont trop peur qu'on leur retire leurs outils de communication s'ils parlent. Ils ne peuvent pas vivre sans technologie, observe Mme Baron. Pour eux, c'est comme un cordon ombilical.»