Au Québec, la majeure partie des places en garderie à 7$ ne sont pas offertes dans les en CPE, mais plutôt en milieu familial. Pas étonnant: pour l'État, ces places coûtent deux fois moins cher. Mais la qualité n'est pas toujours au rendez-vous. Des experts exhortent le gouvernement à profiter des négociations syndicales en cours pour resserrer ses exigences. Pendant ce temps, des milliers d'enfants sont toujours confiés à des gardiennes qui profitent de la pénurie de places subventionnées pour facturer le gros prix. Et qui n'ont de comptes à rendre à personne.

Nathalie* savait que la gardienne de son fils de 3 ans «prenait des libertés». Mais pas à ce point-là. Un matin, en reconduisant son garçon au service de garde en milieu familial, elle est tombée sur des tout-petits laissés à eux-mêmes. «Dans la maison, il y avait quatre enfants autour de la table, seuls, en train de bricoler. Puis, la gardienne est arrivée en voiture. Elle était allée chercher du lait!»

La gardienne, qui lui demande 30$ par jour, lui a expliqué qu'elle avait confié la surveillance des bambins à sa fille de 17 ans. Mais cette dernière était «enfermée dans sa chambre au sous-sol à regarder la télé», raconte Nathalie.

Révoltée, la jeune femme a téléphoné au ministère de la Famille afin de s'informer de ses recours. Pour apprendre avec stupéfaction qu'il n'y avait rien à faire. Comme elle accueille moins de sept enfants et ne reçoit pas de subvention, la gardienne de son fils n'est soumise à aucun contrôle. Elle n'a pas à se procurer de permis. Ni à suivre de formation. Encore moins à se plier à une inspection. Et personne ne lui demandera jamais si elle a des antécédents judiciaires.

Chaque jour, des milliers d'enfants sont ainsi confiés à des gardiens qui n'ont de comptes à rendre à personne. «L'aberration», estime le directeur de l'Association québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE), c'est que ces services non réglementés coûtent aussi cher à l'État que les services subventionnés - ces places à 7$ qui, elles, sont relativement bien encadrées.

Même crédit d'impôt?

Jean Robitaille a calculé qu'en moyenne, le crédit d'impôt accordé aux parents qui placent leurs enfants dans un service de garde non réglementé est le même que la subvention accordée aux responsables de service de garde en milieu familial (RSG), soit 19$ par enfant, par jour. «Dans un cas, il y a un encadrement, une formation, un système de plaintes. Dans l'autre, il n'y a aucune supervision», déplore-t-il.

Au ministère de la Famille, le sous-ministre Jacques Robert conteste ce calcul. Bien qu'il n'existe aucune analyse à ce sujet, il assure qu'en général, le crédit d'impôt coûte moins cher à l'État que les subventions.

«C'est un système un peu tout croche», dénonce pourtant la porte-parole péquiste en matière de Famille, Carole Poirier. «Les RSG doivent répondre à certaines normes. Parallèlement, avec le crédit d'impôt, je peux faire la même chose sans que personne ne vienne m'embêter!»

Parce qu'ils tombent en pleine zone grise, les services de garde non réglementés ne sont comptabilisés nulle part. Il est impossible de savoir combien d'enfants les fréquentent. M. Robitaille évalue leur nombre à 15 000, d'un bout à l'autre du Québec. Ce qu'on sait aussi, c'est que le budget consacré au crédit d'impôt pour frais de garde est passé de 172 millions en 2007 à 240 millions en 2009. Cette hausse coïncide avec la bonification du crédit d'impôt, en 2008.

Cette bonification devait pallier la pénurie de places à 7$. Mais la mesure a eu un effet pervers, selon M. Robitaille, en entraînant une hausse du prix des places à plein tarif. Désormais, il n'est pas rare de voir des gardiennes demander 35$ par jour. Résultat, «de plus en plus de RSG quittent le réseau des places à 7$ parce qu'au fond, c'est plus payant pour elles d'offrir des services à plein tarif», dit-il.

Cécile Amand, une RSG de Saint-Laurent, a observé ce phénomène sur le terrain. «Dans le quartier, on voit passer des femmes avec parfois 10 enfants derrière», ce qui est illégal, les gardiennes non régies devant se limiter à six enfants. «Elles ont le culot de nous dire: pourquoi tu ne fais pas comme moi, c'est plus payant et il n'y a aucun contrôle, le gouvernement ne vient pas vérifier!»

Un nombre difficile à évaluer

Impossible de savoir combien de garderies illégales existent dans les salons et les sous-sols du Québec. La ministre de la Famille, Yolande James, promet d'explorer diverses avenues avec le ministère du Revenu pour identifier les garderies qui émettent trop de reçus d'impôt. Mais la tâche est loin d'être simple, les informations du ministère du Revenu étant confidentielles.

Pour Christa Japel, spécialiste de la petite enfance à l'UQAM, il ne s'agit pas tant de coincer les garderies illégales que d'imposer un certain contrôle aux services de garde non réglementés. «La santé et la sécurité des enfants sont en jeu. Nos études ont montré que la qualité des services de garde en milieu familial non régis est très inférieure à celle des autres types de garde.»

Le gouvernement rétorque qu'il y a une limite à tout réglementer. L'État a fixé un seuil à partir duquel la garde est régie par la loi, et ce seuil est de sept enfants.

«On ne veut pas réglementer la garde d'une voisine ou d'une grand-mère qui s'occupe de ses deux petits-enfants», explique la ministre James. «Les parents ont la responsabilité de veiller à ce que le milieu de garde qu'ils choisissent soit le plus approprié pour leurs enfants. Ni le gouvernement, ni le CPE, ni personne ne peut se substituer à ce rôle.»

Sauf qu'avec la pénurie de places à 7$, les parents sont pris en otages, affirme M. Robitaille. «Quand ils trouvent enfin une place, leur premier geste n'est pas de dénoncer la gardienne de leur enfant.»

Nathalie en sait quelque chose. La liste d'attente du CPE de son quartier s'étire sur... sept ans! Et elle devra poireauter deux ans avant d'espérer obtenir une place à 7$ en milieu familial. «Ma gardienne me dit: si ça ne fait pas ton affaire, va-t'en.» Le problème, c'est qu'elle n'a nulle part où aller.

* Nom d'emprunt

* * *

LES GARDERIES EN CHIFFRES



Les places à 7$ par jour

> Milieu familial: 91 607

> CPE: 80 397

> Garderies privées: 39 529

Total des places subventionnées: 211 533

Coût total du programme: 2 milliards de dollars

Le coût quotidien pour l'État d'une place

> Milieu familial: 20,60$

> CPE: 44,91$

> Garderies privées: 37,09$

Les plaintes en 2009-2010

> Milieu familial: 371

> CPE: 412

> Garderies privées: 1263 Milieu familial opérant sans permis: 345

Coût du crédit d'impôt remboursable pour frais de garde

> 2007: 172 millions

> 2008: 199 millions

> 2009: 240 millions (estimation)

Places non subventionnées en garderie privée: 13 548

Places non subventionnées en milieu familial: inconnu

Source: ministère de la Famille et des Aînés