Des milliers d'enfants entament leur première rentrée scolaire cette semaine. Ils ouvriront pour la première fois leur boîte à lunch et leur coffre à crayons. Mais est-ce que nos enfants ont reçu le bagage nécessaire pour passer à travers leur première année sur les bancs d'école? Et les parents, est-ce qu'ils sont à la hauteur? Voici les résultats inédits d'une enquête menée auprès d'une trentaine de parents.

Si leurs enfants savent bien se tenir en classe, dire merci, écouter, se faire des amis et ne pas chahuter jusqu'à l'heure de la cloche, les parents seront contents. Pour eux, le passage de la petite enfance à l'école primaire est d'abord et avant tout une affaire de comportement. Ils sont carrément «obsédés» par l'apprentissage des règles, de la discipline et de l'encadrement.

Ces mêmes parents parlent peu de la capacité d'apprendre à lire ou à compter de leur progéniture. Ils parlent moins d'émerveillement, d'ouverture sur le monde et de curiosité intellectuelle. Ils pensent à court terme en comparant leurs enfants aux autres pour établir la normalité. La norme en société.

Ces conclusions sont tirées d'une enquête de Léger Marketing pour le compte de la Fondation Lucie et André Chagnon auprès de 31 parents qui ont parlé à coeur ouvert d'eux et de leurs enfants de 0 à 5 ans. Un peu plus de la moitié de ces parents vit en couple, l'autre est dans une famille monoparentale. Dans certains cas, ils parlent de leur premier enfant, dans d'autres de leur deuxième. Au total, 21 mamans et 10 papas se sont prêtés à l'exercice.

Isabelle Pelletier est du nombre. Ça grouille chez elle à l'heure des repas. Et pour cause. Elle et son conjoint ont trois enfants âgés de 3, 5 et 8 ans. L'enfant du milieu, Éliane, commence la maternelle cette semaine. Pour pallier des problèmes de langage, elle a déjà vu un orthophoniste. Mais ce n'est pas la plus grande préoccupation de sa mère.

«La rentrée scolaire a été facile pour ma plus grande, elle aime apprendre. L'école, elle en mange. Mais ma deuxième ne parle pas, elle est gênée. Elle est allée à la prématernelle et elle passait ses journées dans son coin. Je sais ce que c'est qu'une cour d'école, que de se faire arracher un collier. J'ai des appréhensions», explique Isabelle qui a sacrifié sa carrière d'éducatrice spécialisée en déficience intellectuelle pour être plus présente à la maison, tout en appuyant son conjoint dans son entreprise.

La chercheuse Julie Brousseau, psychologue et conseillère stratégique chez Avenir d'enfants, organisme qui collabore avec la Fondation Chagnon et le gouvernement auprès des enfants d'âge préscolaire, a analysé les résultats de la recherche. Elle estime que les parents ont toujours été préoccupés, comme Mme Pelletier, par l'intégration des enfants au primaire, mais que cette tendance devient de plus en plus marquée. «Peut-être que les parents ont eux-mêmes vécu de l'isolement», avance-t-elle.

Pourtant, dit-elle, il est impératif de ne pas délaisser l'apprentissage pour autant, l'une des priorités de la Fondation Chagnon. La psychologue explique que le cerveau de l'enfant fonctionne à pleine puissance entre 0 et 3 ans, avec des capacités exponentielles d'emmagasinage d'informations.

«Les parents se disent qu'il faut cajoler, aimer les enfants en bas âge. Tout cela est vrai. Mais il faut leur parler, les stimuler, interagir. Parce qu'il y a une fenêtre au cours de laquelle le cerveau est comme une éponge. Il ne faut pas passer à côté de cela. À 6 mois, par exemple, l'enfant peut distinguer les phonèmes de toutes les langues. Et à 9 mois, il est capable de faire la différence entre beaucoup et pas beaucoup, juste en empilant des blocs.»

Cela ne veut pas dire pour autant qu'il faut en faire des singes savants, concède la Dre Brousseau, qui imagine déjà des parents culpabiliser en lisant ces lignes. Il n'est donc pas nécessaire de leur apprendre l'alphabet ou à attacher leurs lacets à l'âge de 4 ans. «Ça veut plutôt dire de regarder un livre, de leur raconter une histoire avant d'aller au lit, ajoute la psychologue. C'est de parler, montrer des objets en nommant les mots. C'est vraiment des choses de la vie quotidienne, une interaction avec un adulte, mais une interaction riche.»

Culpabilité

Loin de se croire parfaits, les parents qui ont participé à la recherche de la Fondation Chagnon sont d'ailleurs critiques envers eux-mêmes quand on leur demande de se donner une note. La majorité s'attribue 75% tout au plus. La perfection n'existe pas, disent-ils. Ils donnent leur maximum dans une société stressante, où la pression est forte et les frustrations nombreuses.

Isabelle Pelletier, par exemple, raconte qu'elle ressent de la culpabilité en se disant qu'il faudrait qu'elle retourne travailler. «Je me sens jugée», dit-elle. Ils reçoivent de l'aide de ses parents et beaux-parents, notamment pour les fournitures scolaires. Elle se reproche aussi son manque de patience. «Je suis avec eux tout le temps, particulièrement l'été, parfois j'ai besoin de prendre l'air», dit-elle.

À l'instar des autres parents qui ont plus de deux enfants, elle déplore une société mal adaptée aux grandes familles. «Une journée au zoo avec trois enfants coûte 150$, fait-elle remarquer. Il faut user d'imagination. On va dans les friperies. On fait des sacrifices pour se payer des cours de taekwondo et on se prive d'un salaire. Mais pour nous la famille est plus importante que le travail.»

Les parents qui travaillent à temps plein ont d'autres frustrations, particulièrement les familles monoparentales qui disent éprouver beaucoup de difficultés, notamment auprès de leur employeur. «Je travaille beaucoup et j'exige que mes filles dorment à 19h30, ce qui fait que je ne passe pas beaucoup de temps avec elles», raconte une mère sous le couvert de l'anonymat. «La seule chose qui me manque, c'est le temps», explique un autre parent.

Malgré les embûches et la fatigue, les parents sont confiants en l'avenir et ont l'impression d'évoluer dans un monde de plus en plus ouvert aux enfants. Où des efforts sont faits par les gouvernements. Ils sont par ailleurs émerveillés par le développement physique et intellectuel de leurs enfants.

«Ma plus grande s'invente des devoirs tellement elle aime l'école», dit Mme Pelletier. «Je suis impressionnée par tout ce qu'il fait avec l'ordinateur à seulement 5 ans», dit une autre maman. «Elle a souri à trois semaines», fait remarquer un papa.

Des enfants vulnérables

Une enquête de l'Agence de la santé et des services sociaux de Montréal menée auprès de 10 000 enfants à la maternelle a révélé, en 2008, qu'un enfant sur trois était vulnérable lors de son entrée à l'école dans un ou plusieurs aspects de son développement.

Pour parvenir à ces conclusions, l'Agence a posé une centaine de questions. Elle s'est appuyée sur plusieurs critères, dont la maturité affective et le développement cognitif et langagier des enfants, des aspects où les lacunes étaient plus marquées. La santé physique et le bien-être, les compétences sociales, les habiletés de communication et les connaissances générales ont aussi été prises en compte.

Les enfants plus vulnérables à l'apprentissage vivent dans Mercier-Est-/Anjou, Saint-Laurent, Montréal-Nord, Parc-Extension et Hochelaga-Maisonneuve, où 42% des enfants ont démontré une carence dans au moins un domaine de la maturité scolaire.