On savait déjà que plus de 2200 professeurs sans brevet enseignent chaque année dans les écoles du Québec grâce à des «tolérances d'engagement». La Presse a appris que plus de 1500 autres profs non légalement qualifiés enseignent, depuis avril 2006, en vertu «d'autorisations provisoires d'enseigner». Nombre d'entre eux voudraient acquérir leur formation en pédagogie mais ne sont pas prêts à retourner quatre ans à l'université, ce qu'exige Québec. Solution : s'exiler en Ontario, où la formation ne dure que huit mois.

Au lendemain de la Journée mondiale des enseignants, un constat s'impose : les pénuries sont toujours aussi vives dans ce secteur au Québec. Près de 2240 professeurs sans brevet ont enseigné, l'an dernier, grâce aux «tolérances d'engagement» que le ministère de l'Éducation (MELS) a délivrées.

Ce n'est pas tout : La Presse a appris que 1507 «autorisations provisoires d'enseigner» ont aussi été accordées par le MELS depuis leur création, en avril 2006. Non légalement qualifiés, leurs détenteurs doivent s'engager à faire leur formation en pédagogie tout en enseignant, ce qui relève souvent du chemin de croix.

Seulement entre le 1er janvier 2008 et le 30 juin 2009, 875 autorisations provisoires d'enseigner ont été émises, a indiqué Pierre Noël, porte-parole du MELS. La majorité (382 ou 44%) sont allées à des enseignants en formation professionnelle, suivi d'étudiants de 4e année du baccalauréat en enseignement (355 ou 41%) pressés d'exercer leur métier.

Viennent ensuite 133 (ou 15,20%) détenteurs d'un baccalauréat dans une matière enseignée (par exemple l'histoire, l'anglais ou les sciences), écartés jusqu'alors des salles de classe parce qu'ils n'ont pas de formation en pédagogie.

Bac en études anglaises moins bon qu'en pédagogie?

Karyne Gamelin est l'une d'eux. Bien qu'elle ait fait un bac en études anglaises et qu'elle enseigne l'anglais depuis cinq ans, elle n'a toujours pas de brevet. Pour y avoir droit, elle doit faire un deuxième bac en pédagogie, dont la plupart des cours se donnent de jour... alors qu'elle travaille! La Presse avait parlé de son problème en octobre dernier.

«Rien ne bouge, constate-t-elle, un an plus tard. Je suis un peu découragée.» Devant l'impossibilité de poursuivre sa formation en pédagogie de soir à Concordia, Mme Gamelin s'est inscrite comme étudiante libre à l'Université de Sherbrooke.

Elle espère que cette université ouvrira sous peu une maîtrise menant à l'obtention du brevet pour les profs d'anglais et qu'elle pourra la faire à temps partiel. «Je me sens comme au purgatoire, entre deux, souligne-t-elle. Est-ce que je finirai par l'avoir, ce brevet?» Sans brevet, impossible d'obtenir un poste permanent dans une école, même si la pénurie de profs d'anglais est criante.

Mme Gamelin n'est pas la seule à avoir du mal à achever sa formation en pédagogie. À peine 7,31% des détenteurs de bac dans une matière enseignée ayant eu une autorisation provisoire d'enseigner depuis leur création ont obtenu leur brevet (soit 16 sur 219), selon le MELS. Chez les étudiants de 4e année au bac en enseignement, le succès est plus grand : 78,61% ont eu leur brevet (soit 408 sur 519). Il faut dire qu'étant en 4e année, il ne leur restait que quelques cours universitaires à suivre, contrairement aux premiers qui doivent faire la totalité de leur formation en pédagogie, tout en travaillant.

Une prof d'anglais abandonne

Chantal Delorme a encore moins de chance. Enseignante d'anglais depuis 12 ans (à Hong-Kong pendant 10 ans et dans des écoles du Québec depuis deux ans), elle n'a droit qu'à une tolérance d'engagement. Comme ses études ne sont pas en lien avec l'enseignement de l'anglais - elle a fait un bac en service social - le MELS ne lui accorde pas d'autorisation provisoire d'enseigner, encore moins de brevet.

Québec exige que Mme Delorme fasse un bac de quatre ans en enseignement de l'anglais, à temps plein. «Je suis tout à fait disposée à retourner étudier, cependant je ne peux pas me permettre d'arrêter de travailler pendant quatre ans», écrit-elle dans une lettre envoyée à la ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, que La Presse a obtenue. Prise dans un cul-de-sac, l'enseignante d'anglais se voit dans l'obligation de quitter ce métier qu'elle «adore», déplore-t-elle.