Le décrochage scolaire a un prix, autant pour celui qui n'a pas de diplôme que pour l'ensemble de la société. Coût de la facture: un demi-million de dollars par décrocheur.

C'est la conclusion à laquelle est arrivé l'économiste Pierre Fortin, qui présentera ses travaux lors d'un sommet sur le décrochage scolaire qui aura lieu au mont Sainte-Anne la semaine prochaine. Il s'agirait d'une première puisque le coût du décrochage scolaire n'aurait encore jamais été chiffré au Québec.

 

«Ça nous donne la dimension de la mine à exploiter. Ça vaut la peine d'investir dans l'éducation», martèle M. Fortin, en entrevue au Soleil.

Le professeur de l'UQAM a basé ses calculs sur le revenu moyen d'un travailleur sans diplôme, évalué à 25 000$ par année (avec les avantages sociaux). Avec un diplôme d'études secondaires ou professionnelles (DES ou DEP), son revenu serait 15% plus élevé et le taux d'emploi, supérieur de 10%. Le revenu moyen ferait alors un bond de 6250$ par année. Puisqu'un jeune qui arrive sur le marché du travail à 20 ans y restera probablement jusqu'à 65 ans, il suffit de multiplier ce chiffre par 45 pour en arriver à 420 000$. De cette somme, 30% reviendrait directement dans les coffres de l'État grâce à l'impôt sur le revenu.

À cette rondelette somme, il faut ajouter 40 000$ pour le coût des soins médicaux et des services sociaux supplémentaires. Un Québécois sans diplôme coûtera en moyenne 500$ de plus chaque année à l'État (comparativement à 2000$ en moyenne), une somme qui est «loin d'être exagérée», juge l'économiste.

En alignant les chiffres, Pierre Fortin arrive donc à 460 000$ pour un seul décrocheur, un chiffre qui représente le coût à la fois pour l'individu et l'ensemble de la société.

300 millions d'ici à 2020

Comment en arriver ensuite à calculer le coût total, pour l'ensemble des décrocheurs? Puisque le Québec compte 640 000 personnes sans diplôme âgées de 20 à 64 ans et aptes à travailler, il est tentant d'extrapoler ces chiffres pour en arriver au coût annuel du décrochage scolaire pour l'ensemble de la population. Les estimations grimpent facilement à quatre milliards de dollars par année, toujours en suivant le même raisonnement.

Mais puisqu'il est complètement irréaliste - voire inutile - de supposer que tous les décrocheurs puissent se retrouver du jour au lendemain munis d'un DES ou un DEP, Pierre Fortin préfère miser sur une cible plus terre à terre.

À l'âge de 30 ans, la proportion de Québécois qui n'ont toujours pas de diplôme est de 12%, comparativement à 9% pour l'Ontario. Si le Québec réussissait à réduire ce taux de seulement 3% - un objectif plutôt modeste, souligne l'économiste - les revenus supplémentaires pour le Québec atteindraient... 300 millions de dollars d'ici à 2020! Le tout en dollars de 2008, bien sûr.

Mais peu importe les calculs, l'important est de prendre conscience que le décrochage scolaire coûte extrêmement cher à la société québécoise, rappelle M. Fortin. S'y attaquer sérieusement serait une façon d'enrichir le Québec en espèces sonnantes et trébuchantes, dit-il. «Et on n'a même pas encore parlé des coûts sociaux, qui, eux, sont plus difficilement quantifiables.»

Un plus grand nombre de gens instruits permettrait d'augmenter la qualité de vie, le dialogue en société, la vie démocratique, etc. Ces multiples impacts sont difficiles à traduire à coups de calculatrice.

Convaincre

Pour arriver à convaincre les gouvernements d'investir dans l'éducation, il faut d'abord convaincre l'opinion publique, ajoute M. Fortin. L'économiste a récemment joint les rangs d'un comité ad hoc - mis sur pied par le président de BMO Groupe financier, Jacques Ménard - qui vise à trouver des solutions au décrochage scolaire.

Le groupe, appuyé par la firme-conseil McKinsey&Company, présentera une partie de ses travaux la semaine prochaine au sommet du mont Sainte-Anne, qui sera d'ailleurs présidé par M. Ménard.

«Le coût économique du décrochage est énorme, mais il ne faut pas oublier que le coût social est encore plus grand», affirme Pierre Fortin. Depuis 15 ans, le taux de décrochage n'a pratiquement pas diminué au Québec. «Alors, on jette l'éponge ou on change nos façons de faire?»

 

Sommet sur le décrochage scolaire

Les 30 et 31 octobre, plus de 300 intervenants de tous les milieux seront réunis au mont Sainte-Anne pour s'attaquer au décrochage scolaire. Des représentants du milieu de l'éducation y seront présents, bien sûr, mais aussi des gens du réseau de la santé, des municipalités, des gens d'affaires, des organismes communautaires, des parents, etc. L'objectif: faire prendre conscience que le décrochage, «c'est l'affaire de tous», lance Marie-Claude Côté, coordonnatrice du Conseil régional de prévention de l'abandon scolaire au Saguenay-Lac-Saint-Jean (CREPAS), qui depuis 12 ans a fait de ce principe une réalité dans sa région.