Près de un an et demi après le déraillement d'un train à Lac-Mégantic, plusieurs entreprises qui ont été parmi les premières à intervenir dans la zone dévastée attendent toujours d'être payées et s'impatientent de plus en plus. Au point où une poursuite a même été envisagée, a appris La Presse.

«Je n'ai jamais eu autant de difficulté à me faire payer, on se passe notre dossier à droite et à gauche comme une patate chaude et, chaque fois, je me bute à une porte fermée.» Au téléphone, Angelo Guglielmo ne cache pas sa frustration. Le comptable de la compagnie Accuworx inc., à Brampton, en Ontario, ne comprend pas pourquoi l'entreprise n'a toujours pas reçu un sou du gouvernement du Québec, ni même un seul coup de fil.

Dans les premières heures suivant la catastrophe, l'entreprise s'est rendue à Lac-Mégantic avec de l'équipement spécialisé pour éteindre l'incendie à l'aide d'une mousse.

Depuis, elle tente de se faire payer les milliers de dollars qu'on lui doit. Entre la Ville de Lac-Mégantic, le gouvernement du Québec, la firme Pomerleau, qui vérifie les factures... M. Guglielmo multiplie les coups de fil qui restent sans réponse.

«Personne ne peut m'expliquer pourquoi nous n'avons pas été payés, fulmine M. Guglielmo. Et ce n'est même pas une question de négociation des coûts, si on va être payés à 90% ou à 100%, mais bien si on va être payés! On est complètement ignorés. C'est scandaleux! Ce n'est pas une question d'argent, mais de principe.»

Certaines factures de l'entreprise SIMEC, qui était responsable de la décontamination des eaux, n'ont toujours pas été payées non plus. «Si les sommes ne menacent pas la survie de l'entreprise, le manque à gagner n'est pas sans impact», précise le chef de la direction financière, Paul Pouliotte. Ce dernier critique surtout le manque de communication. «C'est difficile de savoir qui s'occupe de quoi. Et si on n'appelle pas au gouvernement [du Québec], rien ne bouge. C'est pas mal à sens unique.»

M. Guglielmo, d'Accuworx, affirme que des vérifications de ses réclamations ont été réalisées en août et décembre 2013. «Depuis, plus rien. C'est très frustrant. Est-ce qu'on y a pensé à poursuivre, est-ce qu'on a consulté un avocat? C'est clair.»

L'idée d'une poursuite a toutefois été mise sur la glace en raison des sommes importantes qui devraient être englouties dans les procédures qui s'annonçaient tout aussi complexes et interminables.

En juillet dernier, La Presse révélait que les entreprises MD-UN et RSR Environnement, qui avaient coordonné les travaux de nettoyage de la zone rouge, attendaient toujours le paiement de certaines de leurs factures qui totalisaient plusieurs millions de dollars. Ils ont d'ailleurs évité la faillite technique de peu, cet été.

L'attente se poursuit toujours pour ces deux entreprises. Elles ont toutefois décliné notre demande d'entrevue afin de ne pas nuire au processus. «On espère que ça va être réglé d'ici la fin de l'année», a expliqué Jean-Claude Morin, président de MD-UN.

Pas facile de s'y retrouver

Les entrepreneurs peinent à trouver le bon interlocuteur entre la Montreal Maine&Atlantic, qui a conclu les premiers contrats avant de se mettre sous la protection des tribunaux, la Ville de Lac-Mégantic et le gouvernement du Québec, qui ont versé les premiers paiements, et la firme Pomerleau, engagée en août 2013 pour assurer la gestion des travaux de nettoyage. C'est maintenant elle qui passe au peigne fin toutes les factures.

La porte-parole de Pomerleau, Carolyne Van der Meer, a affirmé à La Presse que l'entreprise a obtenu un délai jusqu'au 19 décembre pour l'analyse des factures. Il reviendra ensuite au gouvernement d'effectuer les paiements.

La Presse a dû jongler entre les ministères de l'Environnement et de la Sécurité publique pour tenter d'obtenir des réponses.

Geneviève Lebel, porte-parole du ministère de l'Environnement, confirme de son côté que six fournisseurs ont reçu des paiements partiels et cinq sont toujours «en analyse» sur les 128 qui ont fait des réclamations.

«Le délai de traitement est déterminé par le rythme auquel les pièces justificatives sont reçues, le nombre de pièces justificatives à analyser et la complexité des dossiers à traiter, explique Mme Lebel. Le montant des réclamations est aussi à considérer [certaines atteignent plusieurs millions de dollars], tout comme le fait que l'analyse des réclamations se fait par différentes instances, selon la nature de la réclamation [la Ville et deux ministères].»

Le porte-parole du ministère de la Sécurité publique, Clément Falardeau, n'était pas en mesure de dire à quel moment les entreprises seraient payées.