La mort a été «violente» à Lac-Mégantic, le 6 juillet 2013. Elle était «évitable», mais elle devra servir de leçon aux gouvernements provincial et fédéral, conclut le coroner Martin Clavet, dans les rapports sur la mort des 47 victimes qu'il publie aujourd'hui et dans lesquels il formule cinq recommandations à Transports Canada et Transports Québec.

Les familles des disparus ont reçu hier soir les rapports qui décrivent la mort de leurs proches, et dont les conclusions s'appuient largement sur le rapport du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) ainsi que sur l'enquête, toujours en cours, de la Sûreté du Québec. La Presse a obtenu l'un d'entre eux.

Au fédéral, le coroner Clavet suggère «de stipuler dans le cadre de la réglementation le nombre suffisant de freins à main qu'il faut serrer en fonction du poids (tonnage) du matériel roulant et de la déclivité (pente) de la voie». Le coroner recommande aussi que la réglementation «mentionne explicitement la façon de procéder à un essai de l'efficacité des freins, pour vérifier si les freins à main serrés produisent un effort suffisant pour empêcher le matériel roulant de bouger».

Toujours selon le coroner, un train transportant des matières dangereuses «ne devrait pas être laissé sans surveillance sur une voie principale», du moins «jusqu'à ce que les compagnies ferroviaires canadiennes mettent en place des moyens de défense physique additionnels pour empêcher les trains de partir à la dérive».

Les «itinéraires-clés», qui sont utilisés pour transporter au moins 10 000 wagons-citernes en un an, devraient eux aussi faire l'objet d'une révision, selon Martin Clavet. Puisque les évaluations des risques sont faites sur ces itinéraires seulement, Transports Canada devrait «déterminer quels itinéraires sont exclus par ce seuil et considérer les soumettre aussi à une évaluation de risques».

Au ministère des Transports du Québec, le coroner recommande de mettre en oeuvre sur les chemins de fer de compétence québécoise des mesures similaires à celles recommandées par le BST et à celles entreprises par Transports Canada, en plus d'évaluer l'opportunité d'exiger une approche fondée sur les systèmes de gestion de la sécurité (SGS), qui encourage une culture de sécurité et une attitude visant à déceler les risques avant qu'ils ne constituent des problèmes de sécurité.

Nouveau détail sur la locomotive

Le document que La Presse a obtenu analyse la mort d'une personne qui se trouvait à l'intérieur du Musi-Café quand un train fou a foncé sur le centre-ville de Lac-Mégantic. Il fournit un aperçu de l'ambiance qui régnait dans le resto-bar quand la mort s'en est approchée. «Il se produit une coupure de courant et une immense secousse ressemblant à un tremblement de terre», peut-on y lire. Dans le noir, les occupants de l'établissement se ruent vers la porte arrière. Devant, le «train de la mort» entame son sinistre spectacle. «Les wagons-citernes qui déraillent et se perforent déversent aussitôt de grandes quantités de pétrole brut très volatil, qui s'enflamme d'emblée, relate le rapport. Très rapidement, plusieurs explosions ont lieu, accompagnées d'immenses boules de feu, alors que les wagons s'empilent les uns sur les autres.»

Quelques secondes passent. Puis une nappe de pétrole en feu déferle du lieu du déraillement en direction du lac, note le coroner Clavet. Pas moins de 6 millions de litres se déversent dans le lac Mégantic. Dans son sillage, le pétrole embrase des édifices et détruit 47 vies.

Plus tôt, vers 22h50, le convoi ferroviaire arrivait à Nantes. La suite des choses - l'incendie dans la locomotive, le moteur coupé par les pompiers, les freins à air qui se desserrent, la course folle du convoi vers Lac-Mégantic - est désormais connue. À un détail près. Quand le convoi est arrivé à Nantes, tout indiquait que quelque chose clochait dans la mécanique de la locomotive. «À ce moment, une fumée excessive s'échappe de la cheminée de la locomotive de tête, révèle le rapport. Mais il est convenu de laisser le train tel quel et de s'occuper des problèmes de moteur le lendemain. Le mécanicien de la locomotive quitte pour la nuit, avec le moteur de la locomotive de tête en marche.»

La Presse a contacté plusieurs familles hier, mais aucune n'a souhaité commenter les conclusions des rapports, comme l'a exigé le Bureau du coroner. Elles seront officiellement rendues publiques aujourd'hui.

- Avec la collaboration de Caroline Touzin