Alors qu'un débat fait rage à Washington sur le projet d'oléoduc pétrolier canadien Keystone XL, plus près de la frontière, les résidants d'Albany ont les yeux rivés sur l'accident ferroviaire de Lac-Mégantic. Dans la capitale de l'État de New York, des wagons bourrés de pétrole brut inflammable qui roulent à deux pas d'un quartier défavorisé attisent les craintes d'un remake américain.

Pour la communauté d'Albany, dans l'État de New York, la tragédie de Lac-Mégantic sert d'avertissement.

«Ça pourrait se produire ici», explique un dépliant annonçant le rassemblement, dimanche prochain, pour commémorer l'explosion de wagons-citernes de pétrole brut ayant fait 47 morts au Québec il y a un an.

Mère de famille, Kahdejah Johnson, 23 ans, souffre d'insomnie depuis qu'elle a pris conscience de l'étendue des ravages que ces wagons, si familiers, pourraient causer s'ils venaient à prendre feu.

Sa demeure est l'une des 179 habitations à loyer modique du complexe Ezra Prentice amoncelés le long d'une voie ferrée engorgée, jour et nuit, de wagons marqués des chiffres «1267-3.» Il s'agit du code de système de numérotation chimique désignant la marchandise à bord: du pétrole brut.

«J'ai peur de rester à la maison, dit-elle, agitée. Certaines nuits, mon fils et moi, on ne dort plus ici. Je passe par la maison, je m'habille et je décampe chez ma mère.»

Sous l'impulsion du boom pétrolier de l'Ouest canadien et américain, Albany, ville de près de 100 000 habitants, se transforme rapidement de paisible capitale administrative en centre pétrolier de premier plan.

Les trains bondés de pétrole y serpentent entre les habitations et le fleuve Hudson. Leur destination immédiate: le port commercial d'Albany. Là, leur contenu est expédié par barge, sur le fleuve, aux raffineries allant du Nouveau-Brunswick au New Jersey.

«Ce qui est étrange, c'est que nous ne savions pas quelle quantité de pétrole brut nous recevions jusqu'à l'explosion au Canada,» explique l'ex-conseiller municipal Dominick Calsolaro, l'un des premiers élus à avoir sonné l'alarme.

Discrètement, en 2012, l'État de New York a acquiescé à une demande de permis pour hausser les quotas de pétrole brut déchargé au port d'Albany. Aujourd'hui, 2,8 milliards de gallons peuvent y transiter, contre quelque 1,2 milliard auparavant.

Dimanche, résidants, environnementalistes et représentants politiques se rassembleront sur le terrain de basketball du complexe Ezra Prentice pour se remémorer la catastrophe de Lac-Mégantic.

Les wagons s'approchent à cinq mètres tout au plus de la zone résidentielle à cet endroit, en faisant un symbole de la lutte contre la situation actuelle.

«Nous allons imprimer des photos des 47 victimes de Lac-Mégantic, lire leurs noms, puis les épingler sur la clôture,» dit Sandy Steubing, porte-parole de l'ONG PAUSE (People of Albany United for Safe Energy). «Il y aura ensuite un pasteur qui livrera un sermon.»

Le Canada, nouvelle pompe à gaz

Si le pétrole expédié par train à Albany provient actuellement du Dakota-du-Nord, une entreprise du Massachusetts, Global Partners, se prépare à y construire des chaudières au gaz naturel qui, de l'avis des experts, serviront à liquéfier le pétrole bitumineux de l'Alberta.

Les sables bitumineux canadiens sont moins inflammables que le brut dit «léger» actuellement acheminé. Mais le projet déplaît tout autant à la communauté puisqu'ils sont beaucoup plus difficiles à nettoyer, en cas de déversement.

Comble de l'ironie, l'un des catalyseurs de la croissance du transport de pétrole par voie ferrée est l'hésitation du président Barack Obama à autoriser l'oléoduc Keystone XL, un projet décrié par les environnementalistes qui relierait l'Alberta à l'Est américain.

«S'il y a eu une telle poussée du transport de pétrole par train, c'est parce que l'infrastructure en oléoducs est manquante», explique Charles A.S. Hall, spécialiste des questions pétrolières et professeur émérite à l'Université d'État de New York.

Entre-temps, plusieurs législateurs se préparent au pire.

Patricia Fahy, membre du parlement de l'État de New York, a proposé un projet de loi exigeant que les installations de stockage de pétrole soient suffisamment assurées, si une décontamination s'avérait nécessaire. Elle explique vouloir éviter le scénario canadien, où le gouvernement a écopé de la facture salée après que la société ferroviaire responsable de l'accident eut déclaré faillite.

«Ç'a été un réveil brutal quand on a tiré les conclusions qui s'imposent après l'accident au Québec, dit-elle. Rien ne surpasse ce qui est arrivé là-bas.»

Uniquement au cours des deux derniers mois, un wagon-citerne de pétrole brut a déraillé à proximité du port d'Albany, alors qu'un autre a laissé s'échapper 378 litres de son contenu.

Quant à Kahdejah Johnson, elle compte faire le voyage de chez sa mère pour assister au rassemblement. «Ils ont perdu leur vie pour les mêmes raisons qui pourraient nous coûter les nôtres», dit-elle.