«Nous ne sommes que des exécutants. On a beau nous avoir remplacés, les choses n'ont pas changé. C'est au gouvernement de dire que les trains ne peuvent passer à tel ou tel endroit. Le changement ne peut venir que du gouvernement et des entreprises.»

Ces paroles, c'est Richard Labrie qui les prononce.

L'homme de 55 ans est un des trois accusés de négligence criminelle ayant causé la mort de 47 Méganticois le 6 juillet dernier.

L'employé de la Montreal, Maine and Atlantic travaillait comme répartiteur dans la nuit du drame. Une fonction de cadre. Ce n'était pas son poste habituel, il remplaçait un collègue. Ce n'était pas la première fois. Habituellement, il est un simple employé syndiqué.

«Notre travail est de répartir le travail, coordonner les trains», explique-t-il.

Rencontré hier à sa résidence, il a refusé de détailler cette nuit d'horreur. Il a la consigne de ne pas en parler.

Selon les enquêteurs, c'est à lui qu'un employé de MMA aurait fait rapport après l'incendie de la locomotive à Nantes, quelques instants avant que le train ne s'ébranle seul et descende à vive allure vers Lac-Mégantic.

C'est lui qui aurait autorisé l'employé à laisser le train seul, ce qui était une procédure normale à MMA, approuvée par Transports Canada.

L'homme est en arrêt de travail à cause de cette affaire. Il se qualifie, ainsi que Jean Demaître et Thomas Harding, de simple «exécutant». Mais il le répète, les pratiques qu'ils ont mises en oeuvre étaient celles préconisées par l'entreprise et les normes fédérales, et qui le sont toujours.

Lundi, il était chez sa mère quand les policiers de la Sûreté du Québec lui ont téléphoné. Il dit s'être rendu au poste de police lui-même. Il n'a pas été arrêté par des agents armés comme Harding.

Il déplore la manière dont on les a fait comparaître à Lac-Mégantic mardi, menottés, défilant entre le fourgon cellulaire de la SQ et le palais de justice aménagé temporairement au centre sportif de Lac-Mégantic, devant les nombreux badauds et les journalistes. C'était, selon lui, un spectacle bien planifié.

«On s'est servi de nous pour faire un gros show, à la demande de la mairesse de Lac-Mégantic. Au départ, ça devait avoir lieu au palais de justice de Sherbrooke. Mais les gens du coin ont été très respectueux», affirme-t-il.

Dans presque tous les palais de justice du Québec, les véhicules transportant les détenus au tribunal entrent dans un garage pour faire descendre de voiture les prévenus et les faire entrer à l'abri des regards. À quelques endroits, comme à Joliette, les véhicules n'entrent pas dans un garage, mais dans une cour grillagée qui rend impossible le contact entre les curieux, les médias et les accusés.

Palais de justice inaccessible

Au centre sportif de Lac-Mégantic, il n'y a rien de tel, parce que ce n'est justement pas un palais de justice. Mais le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) se défend bien d'avoir voulu organiser un spectacle.

C'est que depuis le 6 juillet, le palais de justice de l'endroit est inaccessible. Il n'a pas été détruit, comme ce fut parfois rapporté, mais il se trouve dans la zone rouge, celle qui n'est toujours pas ouverte en raison de la contamination des lieux.

«Dans les premiers mois après l'incendie, il y a eu une période de flottement où les causes du district judiciaire de Mégantic ont été transférées dans celui de Saint-François, à Sherbrooke. Puis, on a aménagé une salle du centre sportif pour y faire un palais de justice temporaire pour le district de Mégantic. Il se peut que des causes de Mégantic avec des détenus à long terme, plus à risque, soient encore transférées au palais de Sherbrooke pour des raisons de sécurité. Mais le centre sportif est l'endroit désigné pour le district de Mégantic», martèle Me Jean-Pascal Boucher, porte-parole du DPCP.

Il réaffirme que, selon la loi, les procès des accusés doivent se dérouler dans le district judiciaire où s'est produite l'infraction.

«Le palais aménagé au centre sportif est tout à fait fonctionnel. Mardi matin, avant la comparution, la Cour supérieure et le Tribunal de la jeunesse y siégeaient normalement. Il était donc normal de les faire comparaître de cette façon à Lac-Mégantic. C'est de les amener ailleurs qui aurait été une exception», argue-t-il encore.

Si, plus tard, pour des raisons de logistique ou de difficulté à sélectionner un jury local, les avocats veulent demander un changement de venue pour que le procès se tienne ailleurs, ils pourront le faire. «Mais ça viendra plus tard», conclut-il.