La tragédie de Lac-Mégantic n'aurait jamais eu lieu si une multinationale du pétrole avait correctement étiqueté le brut transporté par le train de la société Montreal Maine&Atlantic, soutient la compagnie ferroviaire dans une poursuite intentée hier aux États-Unis.

World Fuel Services serait responsable de la tragédie qui a fait 47 morts le 6 juillet dernier, selon le syndic mandaté par la Cour pour administrer MMA pendant sa mise en faillite.

Dans sa requête, que La Presse a obtenue, Robert Keach affirme que le train qui a été immobilisé le 5 juillet à Nantes n'aurait jamais été laissé sans surveillance si la MMA avait connu la véritable nature du pétrole qu'il transportait. On se rappellera que ce train s'est remis en mouvement, au milieu de la nuit, et qu'il a déraillé au centre-ville de Lac-Mégantic, 11 kilomètres plus loin.

«N'eussent été les gestes et omissions par négligence et insouciance du défendeur, MMA aurait pris des mesures qui auraient prévenu le déraillement, ainsi que les blessures à MMA et aux autres», indique la requête déposée devant le tribunal des faillites du Maine.

En septembre, le Bureau de la sécurité des transports a révélé que le train de Lac-Mégantic transportait un pétrole plus volatil que ne l'indiquait son étiquetage. Son «point d'éclair», soit la température à laquelle il s'enflamme, était inférieur à celui inscrit sur les wagons.

MMA soutient qu'elle aurait pris des précautions supplémentaires si elle avait été mise au courant de cette situation. Ces mesures auraient prévenu le déraillement tragique du 6 juillet, allègue-t-elle.

«Entre autres, ces procédures et protocoles auraient prévu que le train ne soit jamais laissé sans surveillance, toujours garé sur une voie d'évitement bloquée et jamais sur une voie principale», peut-on lire dans sa poursuite.

World Fuel Services était le propriétaire du pétrole qui a brûlé à Lac-Mégantic au moment de l'accident. C'est elle qui a vendu la cargaison de brut à la raffinerie Irving, au Nouveau-Brunswick.

Selon MMA, l'entreprise américaine aurait dû savoir que les wagons-citernes DOT-111 n'étaient pas assez sécuritaires pour transporter un pétrole brut volatil comme celui extrait des schistes de Bakken.

World Fuel Services fait déjà partie des entreprises qui sont visées par le recours collectif intenté par les victimes de Lac-Mégantic.

L'entreprise établie à Miami n'a pas rappelé La Presse, hier.

Le syndic américain qui administre MMA, Robert Keach, n'a pas rappelé La Presse non plus.

Développement majeur

Selon Luc Despins, un avocat new-yorkais qui représente un comité de victimes de Lac-Mégantic, la poursuite d'hier constitue un développement majeur.

«Ça change la donne, parce que, pour la première fois, quelqu'un fait valoir que s'il y avait eu identification correcte et précise des matières transportées, il n'y aurait pas eu d'accident du tout», a observé Me Despins en entrevue.

Si la Cour devait trancher en faveur de MMA, cela donnerait des munitions aux victimes de Lac-Mégantic ainsi qu'au gouvernement du Québec. Ils pourraient viser une société multinationale dont les poches sont beaucoup plus profondes que le transporteur ferroviaire en faillite pour obtenir réparation.

La poursuite survient une semaine après que les tribunaux ont approuvé la vente de MMA à Railroad Acquisition Holdings LLC, une filiale du fonds d'investissement new-yorkais Fortress Investment Group.

Qui est World Fuel Services?

Fondée en 1984, cette multinationale établie à Miami, en Floride, emploie 2500 personnes. Elle exploite 60points de vente et dessert 8000 sites dans le monde. Sa spécialité n'est pas la production ou le raffinage du pétrole, mais plutôt la vente et le financement. Dans le cas du pétrole de Lac-Mégantic, elle agissait comme intermédiaire entre les producteurs du Dakota-du-Nord et la raffinerie Irving, au Nouveau-Brunswick. C'est elle qui était légalement propriétaire du pétrole qui a brûlé à Lac-Mégantic. Les ventes de World Fuel Services ont atteint 39 milliards en 2012.

MMA autorisée à fonctionner jusqu'en avril

Un organisme fédéral a autorisé MMA à poursuivre ses activités jusqu'au 1er avril, le temps de conclure sa vente à une filiale de Fortress Investment Group. L'Office des transports du Canada a accepté de prolonger le certificat d'aptitude du transporteur ferroviaire après avoir conclu que sa couverture d'assurance était adéquate. MMA est toujours protégée par une assurance-responsabilité de 25 millions. Dans sa décision, l'Office souligne que le chemin de fer a été inspecté à plusieurs reprises par Transports Canada et que le ministère fédéral n'a rien trouvé de répréhensible.