Les wagons-citernes DOT-111 sont trop fragiles pour transporter du pétrole et doivent cesser d'être utilisés à cette fin au plus vite, a prévenu le Bureau de la sécurité des transports, hier. L'organisme a aussi qualifié d'insuffisantes les nouvelles normes adoptées par le gouvernement Harper il y a deux semaines.

Le BST n'a pas encore achevé ses travaux sur le déraillement qui a fait 47 morts à Lac-Mégantic, l'été dernier. Mais il formule dès à présent trois recommandations visant à corriger des «lacunes critiques» dans les règles fédérales.

En tête de liste, il recommande d'imposer des normes beaucoup plus strictes touchant les fameux DOT-111. Les wagons-citernes impliqués dans le déraillement du 6 juillet sont connus pour leurs lacunes depuis 20 ans. La quasi-totalité des 72 citernes a crevé lors de la collision, déversant du pétrole et alimentant l'incendie qui a rasé le coeur de la petite ville.

Si les wagons avaient été bâtis selon des normes plus strictes, dit la présidente du BST, Wendy Tadros, la tragédie aurait pu être beaucoup moins grave.

«Parfois, il faut un événement très profond pour renforcer ce message, parfois il faut des données scientifiques, dit Wendy Tadros, présidente du BST. J'espère que les enseignements que nous avons tirés des wagons-citernes de Lac-Mégantic constitueront un argument très fort à l'appui d'un changement.»

En 2011, l'industrie a entrepris de son propre chef de doter les nouveaux DOT-111 d'une coque plus épaisse, de boucliers et de protecteurs de valves. Le gouvernement Harper a rendu cette pratique obligatoire, il y a deux semaines. Mais la ministre des Transports, Lisa Raitt, n'est pas allée jusqu'à annoncer le retrait des anciens modèles.

«Un retrait progressif prolongé des wagons plus anciens ne suffit tout simplement pas, a rétorqué hier l'administrateur en chef des opérations du BST, Jean Laporte. Ceci laisse encore trop de risques dans le réseau.»

Le BST estime qu'Ottawa devrait aller au-delà des normes de 2011 et exiger des mesures de sécurité supplémentaires sur les nouveaux wagons-citernes.

Ottawa pressé d'agir

La ministre des Transports, Lisa Raitt, a réagi par communiqué aux recommandations du BST. «J'ai donné instruction à mes fonctionnaires de passer en revue ces recommandations de manière urgente», a-t-elle indiqué.

La mairesse de Lac-Mégantic, Colette Roy-Laroche, a pressé le gouvernement conservateur de mettre en oeuvre les recommandations du BST. «La tragédie de Lac-Mégantic ne doit jamais se reproduire, et c'est en modifiant nos lois et règlements que nous y arriverons.»

L'opposition et les écologistes ont abondé dans le même sens. «La ministre Raitt doit choisir entre la protection des communautés et les profits des compagnies pétrolières, a dit le porte-parole de Greenpeace, Patrick Bonin. Si elle refuse de bannir immédiatement l'utilisation des dangereux wagons DOT-111, nous saurons où elle loge.»

La députée du Nouveau Parti démocratique, Olivia Chow, reproche aux gouvernements conservateur et libéral de ne pas avoir agi plus tôt. «Quand on ignore les mises en garde pendant deux décennies, ne court-on pas au-devant des problèmes?», a-t-elle demandé.

Le député libéral David McGuinty presse le gouvernement conservateur de dresser une stratégie globale pour le transport des matières dangereuses par rail. Il note que d'ici 10 ans, un million de barils de pétrole seront transportés sur les chemins de fer nord-américains chaque jour.

Il rappelle que le vérificateur général a décelé des «faiblesses importantes» dans le programme d'inspections de Transports Canada, d'où la nécessité d'augmenter le budget de ce ministère.

«L'industrie nous dit qu'il faut attendre et que ça coûte trop cher, souligne le député bloquiste André Bellavance. Moi, je réponds que la vie humaine n'a pas de prix et qu'il faut mettre en place au plus vite un plan d'amélioration ou de remplacement de ces wagons.»

Deux autres recommandations du BST

Le Bureau de la sécurité des transports a émis deux autres recommandations, hier, pour colmater des lacunes réglementaires qu'il juge « criantes ». L'organisme juge ces mesures d'autant plus nécessaires que le transport du pétrole par rail connaît une explosion sans précédent.

Mieux planifier les itinéraires

En améliorant la planification du transport de matières dangereuses, il est possible de réduire les risques d'accident, selon le Bureau de la sécurité des transports. L'organisme indépendant recommande au gouvernement fédéral de forcer les sociétés ferroviaires à analyser et évaluer leurs itinéraires. Cette stratégie ferait en sorte que le pétrole et les autres matières dangereuses soient transportés sur des itinéraires plus sécuritaires. Les chemins de fer pourraient aussi mettre en place des mesures de contrôle des risques plus efficaces, selon le BST.

Exiger des plans d'intervention d'urgence

Au plus fort de l'incendie de Lac-Mégantic, les pompiers ont eu besoin de 30 000 litres de concentré de mousse pour venir à bout du brasier. Par chance, la raffinerie Ultramar de Lévis était située à une centaine de kilomètres, ce qui leur a permis d'obtenir cette substance rapidement. Le Bureau de la sécurité des transports recommande qu'Ottawa exige un plan d'intervention d'urgence chaque fois qu'un train transporte une grande quantité de pétrole. Une telle mesure permettrait aux premiers intervenants et aux secouristes d'avoir rapidement accès aux matériaux dont ils ont besoin.

Le pétrole et le rail

> 500 wagons de pétrole ont été transportés au Canada en 2009

> 160 000 wagons de pétrole ont été transportés au Canada en 2013

> 92 000 wagons DOT-111 sont utilisés pour le transport des matières inflammables comme le pétrole

> 85% des wagons-citernes utilisés pour le transport du pétrole ne sont pas conformes aux normes de sécurité les plus récentes

Sources : Bureau de la sécurité des transports, Association of American Railroads