Le pétrole transporté sur le train de Lac-Mégantic était plus volatile que son étiquette l'indiquait, a indiqué mardi le Bureau de la sécurité des transports (BST). Une révélation qui met en cause la responsabilité du destinataire du convoi, Irving Oil.

L'organisme fédéral a prélevé des échantillons des neuf wagons-citernes qui ont été épargnés par l'incendie qui a suivi le déraillement mortel du 6 juillet. Conclusion: le «point d'éclair», la température à laquelle la substance peut s'enflammer, était plus bas que ce qui avait été décrit sur les wagons. 

Le liquide transporté par le train de la Montreal Maine & Atlantic Railway était décrit comme du pétrole brut du groupe d'emballage III. Or, ses propriétés s'apparentaient plutôt à du pétrole du groupe II.

«Ce qu'on a identifié, ce sont des lacunes dans l'identification de ces produits», a indiqué Ed Belkaloul, du BST.

Rien n'indique qu'un étiquetage correct aurait changé la manière dont le pétrole a été transporté dans le convoi fatal. Aucune règle ne force les entreprises ferroviaires à transporter un produit du groupe II dans des wagons-citernes plus résistants. De telles normes existent pour le transport des matières dangereuses par bateau et par avion.

La description erronée du produit n'a par ailleurs eu aucun impact sur l'intervention des pompiers à Lac-Mégantic.

Irving en cause

En revanche, la découverte du BST met en cause le destinataire du pétrole, Irving Oil, qui exploite une raffinerie à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick. M. Belkaloul affirme que c'est l'importateur qui a la responsabilité de décrire et d'identifier correctement des matières dangereuses. 

«C'est le destinataire qui doit s'arranger (...) pour que le produit soit identifié correctement», a-t-il dit.

La ministre des Transports, Lisa Raitt, ne s'est pas rendue disponible pour commenter les nouvelles révélations du BST. Dans un communiqué, elle a indiqué que les responsables de l'identification erronée du pétrole pourraient être poursuivis, sans toutefois préciser s'il s'agit d'Irving Oil.

«Si une compagnie de transport ne classe pas correctement ses marchandises, elle peut faire l'objet de poursuites en vertu de la Loi sur le transport des marchandises dangereuses», a fait savoir Mme Raitt.

Irving Oil n'avait pas rappelé La Presse au moment d'écrire ces lignes.

Contrôles

Le BST appelle les autorités canadiennes et américaines à réviser la manière dont elles contrôlent les propriétés des matières dangereuses. Il constate que le régime des inspections de Transports Canada n'a pas permis de détecter la description inexacte du pétrole du train de Lac-Mégantic.

«Il y a eu quelque chose qui est passé à travers la craque», résume M. Belkaloul.

L'organisme d'enquête soulève également des questions sur l'aptitude des wagons-citernes DOT-111 à transporter des matières aussi volatiles.



Le chef du Nouveau Parti démocratique, Thomas Mulcair, a promptement bondi sur les révélations du BST. Il accuse les gouvernements libéral et conservateur qui se sont succédés à Ottawa de laisser les normes qui encadrent le transport des matières dangereuses se dégrader.

«Ce que nous avons vu est une hausse exponentielle du transport par rail de matières dangereuses, a-t-il dénoncé. Nous n'avons pas vu une augmentation semblable de notre capacité à protéger le public et à inspecter.»

Les wagons DOT-111 sont reconnus depuis 20 ans comme non sécuritaires. Le National Transportation Safety Board des États-Unis a émis des mises en garde contre sa fragilité dès 1991. Au Canada, le BST émet également des avertissements sur ce modèle depuis 15 ans.

Ottawa exige depuis 2011 que les transporteurs choisissent des wagons-citernes plus épais quand ils renouvellent leur flotte. Mais il permet néanmoins aux vieux modèles de rester en service.

Aux yeux de Greenpeace, ce dernier rapport du BST démontre l'existence de «lacunes majeures» dans les règles de sécurité encadrant le transport des matières dangereuses par rail. L'organisme presse Ottawa d'agir rapidement, d'autant plus que le transport de pétrole est en hausse.

«Ça renforce l'idée qu'il faut sérieusement évaluer la question du transport du pétrole, qui est en expansion phénoménale, que ce soit par train, par bateau ou par pipeline», indique le porte-parole de Greenpeace, Patrick Bonin.

Réaction

Ces révélations scandalisent le gouvernement Marois, qui entend durcir le ton face à Ottawa. «J'ai l'intention de changer le ton, parce que ce que nous apprenons nous choque profondément. Ce qui était transporté était nettement plus dangereux que ce qui était identifié. Et ça, c'est hautement problématique. On devient de plus en plus impatient. On est dans une situation d'insécurité, et on souhaite que cette situation soit réglée», a affirmé le ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes, Alexandre Cloutier.

Il rappelle que, depuis la tragédie de Lac-Mégantic, son gouvernement mais aussi ceux des autres provinces pressent Ottawa de changer les pratiques en matière de transport ferroviaire de matières dangereuses. «Non seulement les municipalités n'ont pas l'information sur les matières dangereuses qui passent sur leur territoire, mais là on apprend que même le gouvernement fédéral ne connaît pas ce qui circule sur le territoire», a déploré M. Cloutier.

- Avec Tommy Chouinard