Des lunettes de soleil sur la table d'une terrasse, des bières abandonnées dans la précipitation sur un bar, une pancarte d'appartement à louer... le temps s'est arrêté au centre-ville de Lac-Mégantic. À 1h15, dans la nuit du 5 au 6 juillet 2013. Un mois plus tard, le coeur de la ville continue de raconter son histoire.

Pour la première fois depuis le déraillement du train, les journalistes ont eu accès au site de la tragédie. Le périmètre, toujours contrôlé par la Sûreté du Québec, n'est plus considéré comme une scène de crime puisque les recherches pour retrouver des corps manquants ont cessé jeudi dernier.

Lundi, il a été possible de remonter la rue Frontenac: des commerces désertés quasi intacts jusqu'au Musi-Café dont il ne reste que les fondations. En face de l'église Sainte-Agnès, les bâtiments ont complètement disparu. Des escaliers en béton sont parfois apparents, mais ils ne mènent maintenant nulle part.

Il faut se rendre dans la zone la plus dévastée, à quelques mètres du chemin de fer, pour que l'odeur de produits chimiques se fasse sentir. Cette odeur rappelle que les traces de la catastrophe sont bien plus profondes que la destruction visible à l'oeil nu.

Comme le précise Jean-Claude Morin, président de MD-UN qui est à la tête des équipes de nettoyage du site, le sol a épongé une grande partie du pétrole. «Les souterrains ont été contaminés», dit-il.

Ainsi, même si certains bâtiments ne laissent plus rien deviner du drame qui s'est joué à quelques mètres, il n'est pas dit qu'ils survivront une fois les travaux de décontamination terminés.

Regarder... de loin

À une cinquantaine de mètres de là, une foule observe la zone de l'autre côté de la clôture puisque son accès demeure interdit. Dans cette foule se trouve Élie Rodrigue, les mains agrippées au grillage. Depuis que les tissus noirs ont été retirés des barrières métalliques, jeudi dernier, l'homme s'y rend tous les jours pour regarder les travaux.

Le regard plongé dans les ruines, Élie se demande si le centre-ville revivra un jour. Il fixe surtout le trou béant qu'est devenu le Musi-Café. C'est à cet endroit que son fils est mort.

Martin Rodrigue, 48 ans, fait partie des 47 victimes du déraillement de train. Son corps a été identifié par le Bureau du coroner, il y a quelques jours. Le vieil homme regarde les débris de loin, mais il ne se pressera pas d'entrer dans la zone interdite lorsqu'elle sera ouverte. «Ça fait assez mal de même sans trop aller proche», dit-il en soupirant.

Il attend maintenant qu'on lui rende la dépouille de son fils pour pouvoir l'enterrer.

À quelques kilomètres de là, François Jacques s'affairait, lui, à déterrer les urnes qui se trouvaient dans le columbarium dont il ne reste plus rien.

«C'était notre priorité, assure M. Jacques, propriétaire du salon funéraire Jacques et Fils. Il y avait de la famille, des amis, des connaissances dans ces urnes.»

Son terrain ayant été libéré du périmètre samedi, il s'est mis au travail lundi, à 5 heures du matin. En fin de journée, il en avait récupéré plusieurs des décombres, mais il demeure conscient que d'autres ne seront jamais retrouvées.

«Je connaissais 99,99% des gens qui s'y trouvaient. C'était un peu une partie de nous.»