Remettre en marche, comme tous les lundis, une communauté dévastée deux jours plus tôt par une innommable tragédie était impossible, hier. Sauf pour une cinquantaine d'enfants qui étaient de retour à leur camp de jour et pour qui la journée était douce et belle.

Ils ne sont qu'une cinquantaine sur les 250 qui fréquentent le camp municipal de l'OTJ, dans un vaste parc en bordure du majestueux lac Mégantic, mais leurs préoccupations étaient celles de tous les enfants de leur âge: courir, rire, se chamailler.

«Yannick met son ruban sous sa casquette et on ne peut même pas l'attraper», se plaignait William à sa monitrice, au cours d'un jeu où ils devaient courir et attraper le ruban porté par les autres.

Comme quoi tout le monde dans le village n'a pas les mêmes préoccupations.

«Les enfants ont une routine, et venir au camp en fait partie. Ça leur fait du bien de changer des derniers jours, des parents qui ne parlent que de ça. Hier matin, les enfants ne parlaient pas beaucoup du drame. Seulement quelques-uns avaient envie d'en parler, et deux intervenantes du Centre de santé et des services sociaux étaient présentes pour s'occuper d'eux», explique Vanessa Roy, coordonnatrice du camp.

«Il faut que la vie reparte. Elles voient tout ça à la télé, c'est comme si ça ne leur faisait pas réaliser que ça se passe chez nous. Elles ne réalisent pas que le bureau de maman a disparu et que c'est très compliqué», raconte François Boutet, qui a conduit ses fillettes de 7 et 9 ans au camp.

Lui et sa femme ont vu leurs deux entreprises partir en fumée, samedi: le cabinet de notaire de sa conjointe et son gymnase, dont l'immeuble a été touché, mais pas rasé.

Employés manquants

Pour les adultes, le retour à la routine a été plus pénible. Plusieurs entreprises du parc industriel de Lac-Mégantic sont demeurées fermées.

À l'usine Masonite, qui fabrique des portes d'intérieur, on est sans nouvelles de trois employés, qui étaient au Musi-Café lors de l'explosion. Notamment Michel Guertin et Diane Bizier, ainsi qu'une autre femme. Il y avait une petite fête entre collègues, ce soir-là.

«On a trois employés manquants. Plusieurs ont perdu des proches. C'est notre bar, quand on fait des 5 à 7. Tout le monde est touché par la situation», raconte Jules Latulipe, directeur de l'entreprise. Même si l'usine était fermée hier matin, quelques employés s'y étaient tout de même réunis pour discuter.

Jules Latulipe estime que le retour à la normale sera long.

Quand on se promène dans Lac-Mégantic, on constate une atmosphère de désorganisation, mais aussi un étonnant calme. Les gens déambulent comme des automates sur le pilote automatique.

«On sait que beaucoup de gens sont morts. Plus que le nombre de disparus qu'annonce la Sûreté du Québec. Mais c'est quand on va avoir les identités de tout le monde que ça va vraiment fesser», laisse tomber Richard Turcotte.

Hier matin, au Tim Hortons, devenu par la force des choses une sorte de centre de crise improvisé, il y avait deux intervenants psychosociaux.

Les résidants du coin étaient nombreux à échanger des histoires. Un homme montrait à des clients, sur son iPad, des photos de la dévastation au centre-ville. «On dirait qu'on regarde des photos de guerre en Irak!» lance l'homme au sujet d'une photo sur laquelle apparaît une voiture carbonisée.

En retrait, les deux jeunes intervenants discutent avec les gens dans la file du restaurant. «On leur offre une occasion de ventiler, d'être à l'écoute», explique l'un d'eux.

Privé de ses pompes

Plus de 150 personnes avaient de nouveau dormi dans les lits de camp de la polyvalente Montignac. Un autobus avait été mobilisé pour transporter des sinistrés chez eux, afin de leur permettre de récupérer quelques effets personnels - le strict minimum. Un représentant par famille, escorté chez lui par la police.

Un homme rencontré dans un motel aimerait bien pouvoir récupérer ses pompes respiratoires à la maison. Celles qu'il a sont vides. Mais il habite rue Grégoire, dans la zone rouge. À quelques mètres du lieu de l'incendie, et ça n'était pas encore possible.

«La maison derrière chez nous a brûlé. Une famille avec trois enfants vivait là. On ne les a toujours pas vus», déplore-t-il.

Les récits de cet instant fatidique fusent toujours de toutes parts.

Nicolas Grenier, natif du coin, était en visite à Lac-Mégantic ce week-end pour voir des amis. «On a débarqué au Musi-Café, il y avait beaucoup de monde et de tous les âges», explique l'homme de

29 ans, qui habite à Québec.

Il se demande toujours pourquoi il est en vie. Il était sur la terrasse lorsqu'il a aperçu le train dévaler la voie ferrée juste à côté.

«Il ne s'est pas signalé en arrivant, on se demandait si le chauffeur dormait. Il y avait des étincelles sous le train et on voyait des débuts d'explosion», raconte M. Grenier, qui a alors vu une immense boule de feu.

«Ça me brûlait les bras, comme des coups de soleil!» ajoute-t-il.