L'opérateur qui a été le dernier à tenir la barre du train meurtrier de Lac-Mégantic vit des heures difficiles.

Tom Harding, qui dormait à l'hôtel au moment du drame, n'a pas souhaité accorder d'entrevue à La Presse lorsque nous l'avons rencontré lundi devant son domicile de Farnham, en Montérégie.

«Il vit des choses difficiles. Il n'a pas envie d'en parler. C'est normal», a expliqué son voisin.

À Farnham, la nouvelle qu'un citoyen du village conduisait le train meurtrier dans les heures précédant la catastrophe s'est répandue comme une traînée de poudre. Au bar de la rue principale comme à la cantine, son nom était sur toutes les lèvres.

Solidaires, ses collègues et ses amis l'ont décrit comme un «ingénieur de haut calibre» et un «homme extrêmement compétent».

«Il connaît tout. C'est quelqu'un qui sort de l'ordinaire par son talent», a confié l'un d'eux.

Viré à l'envers

Ceux qui ont connu Tom Harding dès l'enfance se souviennent de lui comme d'un passionné de trains qui a toujours voulu en conduire, marchant ainsi dans les traces de son père qui faisait exactement le même travail que lui.

«Il est viré à l'envers», a raconté un collègue, qui a requis l'anonymat par peur de représailles.

Lui, comme plusieurs autres, a accusé la compagnie Montreal, Maine&Atlantic Railway de ne pas entretenir ses infrastructures et de ne pas se soucier de ses employés.

«Ils ne nous ont même pas appelés depuis l'accident», a ragé un autre collègue de M. Harding.

Ce dernier, qui travaille pour la compagnie MMA depuis plusieurs dizaines d'années, a passé la majeure partie de la journée à l'extérieur de chez lui. En soirée, il a regagné son domicile sous escorte policière afin de ne pas être importuné par les médias.

«C'est difficile comme situation. Il doit repasser les événements en boucle dans sa tête pour comprendre ce qui est arrivé», a dit un autre collègue.

Près de l'explosion

Tom Harding était aussi connu à Lac-Mégantic. Il aurait même pu perdre la vie dans ce drame, puisque le train qu'il avait laissé à Nantes en fin de soirée vendredi a explosé à quelques dizaines de mètres de l'Eau berge, où tous les opérateurs de train de la MMA dorment quand ils sont de passage à Lac-Mégantic.

Cela fait des années que ça se passe exactement de la même façon quand les trains de la MMA arrivent dans cette petite ville estrienne, peu importe la direction.

Comme les opérateurs canadiens ne peuvent conduire aux États-Unis, et vice versa, les trains se dirigeant vers l'ouest, vides, arrêtent chaque jour au sud de la municipalité près du chemin Woburn pour y laisser monter, plus tard, un opérateur canadien. Quand ils arrivent en direction est, chargés de milliers de tonnes de pétrole, ils s'arrêtent à Nantes, comme ce fut le cas vendredi soir. Et, plus tard, un opérateur américain y monte.

«Un train arrive chaque soir. Nous allons chercher l'opérateur et le conduisons à l'Eau Berge», raconte Clément Rancourt, propriétaire de la petite entreprise Taxi Mégantic.

À pas de tortue

Clément Rancourt transportait ainsi Tom Harding aux trois jours environ et depuis longtemps, dit-il. L'opérateur prenait son train à Farnham en fin d'avant-midi, et se dirigeait à pas de tortue vers Nantes. Un trajet qui lui prenait jusqu'à

12 heures.

«Il roulait très lentement en raison des conditions des rails», dit le chauffeur de taxi. Il conduisait parfois les opérateurs de la MMA aussi loin que Jackman ou Millinocket, dans le Maine.

Après le drame, un chauffeur qu'embauche M. Rancourt a conduit Tom Harding jusque chez lui, à Farnham. «Il ne m'a pas parlé de l'accident. Il a parlé au téléphone à sa mère, en anglais, et je ne comprends pas l'anglais. Puis, il a dormi», raconte ce chauffeur.

Clément Rancourt ne sait pas trop s'il conduira à nouveau pour la MMA. «Je ne suis pas certain qu'ils vont repasser ici. Les dégâts sont terribles. Ils auront du mal à se remettre de ça», croit l'homme.