«Les Canadiens ont été les pionniers dans l'implantation de la prostitution.»

Nous sommes dans un local vétuste perché au deuxième étage d'un immeuble défraîchi de Boca Chica, un peu en retrait de la tapageuse rue principale.

Les pales d'un ventilateur tournent au dessus d'un bureau, de quelques chaises et d'un téléphone. Voilà l'artillerie dont on dispose pour freiner les ravages causés par le tourisme sexuel dans cette ville. «La pauvreté se vend très mal», admet, méfiante, Denise Pichardo, à la tête de Caminante, un organisme fondé il y a 16 ans. De peur des représailles, elle a hésité avant de se confier à nous.

Avec son équipe, cette femme se bat contre les touristes, les chulos (proxénètes), les prostituées et les autorités, autant d'acteurs qui ont contribué à transformer cette ville de 100 000 âmes en mecque du tourisme sexuel. Dans les années 80, elle a assisté à l'explosion du tourisme dans cette ancienne banlieue de la capitale, qui jusque-là vivait essentiellement de la pêche et de la canne à sucre.

Les touristes, les Canadiens en tête de liste, ont commencé à y affluer. «Boca Chica, comme ailleurs au pays, a commencé à se vendre comme un paradis sexuel», se souvient Mme Pichardo.

Plusieurs Canadiens ont choisi de s'y établir. «Ils offraient de l'argent et des cadeaux en échange d'orgies. Ils proposaient aussi de ramener de jeunes filles et garçons avec eux», raconte la directrice. Au cours des dernières années, elle a vu plusieurs Canadiens obtenir leur citoyenneté. «Aujourd'hui, nous avons des gens de partout dans le monde et ce ne sont pas des touristes de la meilleure espèce», soupire-t-elle. Son visage s'empourpre lorsqu'on lui demande ce qu'elle pense de ces hommes souvent très vieux au bras des adolescents et enfants de sa ville. «Si je n'étais pas aussi opposée à la violence, je voudrais les battre, tous autant qu'ils sont!»

Les Dominicains sont de plus en plus nombreux à penser ainsi, croit-elle. «Mais les gens font leurs petites affaires, ferment les yeux et ne dénoncent rien parce que les autorités sont corrompues.»

Contrairement à la prostitution du Nord, où plusieurs travailleuses du sexe sont des toxicomanes, les filles le font pour survivre en République dominicaine. «Elles viennent de zones rurales et doivent abandonner leurs enfants à des proches pour les faire vivre. La majorité des conjoints ferment les yeux parce que le travail de leur femme est leur unique source de revenu. Ici, c'est la pauvreté extrême», dit Denise Pichardo.

Selon elle, la demande est plus forte pour les enfants de moins de 8 ans et les adolescentes de plus de 13 ans. Son équipe et elle ont parfois l'impression de prêcher dans le désert, surtout auprès des adolescentes. «Ces filles sont programmées depuis l'âge de 10 ans à être des objets sexuels. C'est la seule réalité qu'elles connaissent et plusieurs ont été violées dans leur enfance.» Devant l'ampleur de la tâche, Mme Pichardo ne se laisse pas abattre, même si ces touristes âgés au bras de jeunes femmes feront sans doute encore longtemps partie du paysage local: «Les changements ne se feront pas en une nuit. Nous faisons de notre mieux, mais nous sommes seuls dans un pays où la corruption est partout. Que faire?»

PARADIS SEXUELS CANADIENS

Les touristes sexuels canadiens privilégient les pays d'Amérique latine et des Caraïbes, comme la République dominicaine, Cuba, le Mexique, la Colombie, la Jamaïque et le Costa Rica, plus proches et moins dispendieux que des destinations «traditionnelles» comme la Thaïlande. Le tourisme sexuel est un crime partout dans le monde et, depuis 1997, une loi permet de juger et condamner tout Canadien qui a obtenu des services sexuels de la part d'un mineur dans un pays étranger. Parmi les 842 millions de touristes dénombrés à l'échelle mondiale en 2007, 10% serait des touristes sexuels, estime le Bureau international des droits des enfants.

LES CANADIENS DANS LE SUD

2008-2009 / 2009-2010 / 2010-2011 (Prévision)

Mexique : 1 031 400 / 1 120 900 / 1 167 978

(Cancun) : 609 322 / 622 328 / 642 242

Cuba : 668 824 / 653 414 / 665 175

République dominicaine : 540 139 / 524 878 / 536 950

Jamaïque : 198 874 / 216 400 / 226 354

Source : Conference Board du Canada