Pour sa retraite, Louis Giasson avait décidé de réaliser son rêve: convertir son chalet en maison pour passer ses vieux jours sur le bord du fleuve, à Saint-Jean-Port-Joli. Huit ans plus tard, l'homme doit en faire son deuil, n'ayant plus les moyens de suivre l'explosion de son compte de taxes.

Sur papier, Louis Giasson a pourtant gagné le gros lot. Une fois son chalet converti en 2003, la municipalité avait évalué sa résidence à 148 000$. Huit ans plus tard, son évaluation municipale a gonflé à 301 000$. Mais voilà, le Port-Jolien n'a tout simplement pas les moyens d'être aussi riche, son compte de taxes étant passé de 1700$ à 4300$. Et ce, même s'il n'a pas droit aux services d'aqueduc et d'égouts. «Mes revenus sont fixes! Je n'ai pas le choix, je vais devoir vendre», se désole-t-il.

Sa mère de 91 ans, qui possède la maison voisine, vit le même problème. Elle refuse toutefois de vendre la résidence où elle a vécu la moitié de sa vie. Vivant d'une petite rente, elle doit maintenant piger chaque année dans ses économies pour payer son impôt foncier, qui a augmenté trois fois plus vite que l'inflation depuis cinq ans. «Malheureusement, ça va se régler quand elle va mourir», se désole son fils.

Les Giasson sont loin d'être les seuls dans cette situation. Le compte d'impôt foncier moyen dans les villages de moins de 5000 habitants a augmenté de 35% depuis depuis 2006, soit plus de trois fois l'inflation.

Sans surprise, c'est d'ailleurs une municipalité de 600 habitants qui détient le record des plus fortes hausses de taxes au Québec. Les propriétaires de Saint-Eusèbe, à 75 km au sud-est de Rivière-du-Loup, ont subi une augmentation moyenne de 120% en cinq ans. Quatre autres villages ont plus que doublé le compte de taxe moyen sur leur territoire en cinq ans.

Dès qu'on veut faire un gros projet, on doit taxer nos citoyens», explique Chantal Bouchard, directrice générale de la municipalité depuis 12 ans. Et c'est quoi un gros projet pour Saint-Eusèbe? «Acheter une camionnette...»

Pour se doter d'un nouveau camion, la municipalité vient d'imposer une taxe spéciale pour les 10 prochaines années. Même scénario pour remplacer le camion de pompier qui datait de 1977. Un neuf étant trop cher, Saint-Eusèbe a opté pour un véhicule usagé.

L'impôt foncier tue les villages

Quand tu es obligé d'augmenter les taxes pour acheter une camionnette, ça traduit toute l'injustice de l'impôt foncier», dénonce le président de la Fédération québécoise des municipalités (FQM), Bernard Généreux, qui demande une révision complète des sources de revenus des villes. Le maire de Saint-Prime a lui-même a vu le compte d'impôt foncier moyen augmenter deux fois plus vite que l'inflation dans sa municipalité. «Les petites municipalités n'ont pas de marge de manoeuvre», explique-t-il.

Alors que de nombreuses grandes entreprises ont fermé leurs portes en région, les municipalités n'ont d'autre choix que de hausser leurs taxes pour maintenir les services. «Quand tu perds d'un coup le quart de tes revenus, ça se traduit par des hausses substantielles de taxes. Ça ne doit pas être drôle présentement dans les 250 municipalités québécoises qui vivent de l'industrie forestière», dit Bernard Généreux.

Plus grave selon lui, l'impôt foncier est en train d'achever les petites municipalités. «Ça contribue à tuer les villages en les plongeant dans un cercle vicieux. Il y a moins de monde pour payer les charges municipales, alors les taxes augmentent. Alors ceux qui ont les moyens déménagent et il ne reste plus que les gens âgés, souvent moins fortunés.»